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deux types : les longues et les courtes soies; mais il y a des nuances nombreuses dans ces catégories : il y a, par exemple, des georgie-longues-soies depuis 3 francs jusqu’à 9 francs. Allouer la même somme aux uns et aux autres, ce serait récompenser le mauvais travail. Essaiera-t-on de proportionner la prime à la valeur réelle de la marchandise? Il faudra constituer un corps d’experts pour vérifier et estimer chaque ballot exporté, et Dieu sait à quels abus et à quelles plaintes pourrait donner lieu ce genre de taxation arbitraire.

Remarquons d’ailleurs que la prime, destinée à rendre possible la concurrence contre l’étranger, manquerait assez souvent son effet. Supposez une très mauvaise récolte en Amérique, les prix de vente s’élèvent tellement, que le colon algérien peut réaliser un bénéfice : la prime lui est donc inutile. Vienne au contraire une année de grande abondance, les prix tomberont trop bas pour que la prime soit une indemnité suffisante. Ne perdons pas de vue non plus le côté financier. On consomme actuellement en France 256,000 kilogrammes de coton par journée de travail. Eh bien ! n’accordât-on aux cotons d’Algérie qu’une prime de 25 centimes par kilo, l’alimentation des filatures françaises pendant une seule journée coûterait au trésor un déboursé de 64,000 francs, sans compter 58,000 francs perdus sur l’impôt.

Le plus regrettable effet de la protection administrative sera de faire éclore de petites exploitations impuissantes à vivre sans les libéralités du gouvernement : on se prépare ainsi de grands embarras dans l’avenir. Nous regrettons de ne pouvoir reproduire les devis sur lesquels notre affirmation repose; on y verrait qu’il y a des frais généraux d’outillage, des soins dispendieux dans les manipulations auxquels ne pourrait suffire le petit cultivateur travaillant isolément. Pour lutter contre les Américains, qui ont des forces extraordinaires, il faut des moyens exceptionnels. En quelque pays du monde que ce soit, même dans ceux où l’esclavage existe encore, le coton ne peut plus être produit qu’en grand, et avec l’ensemble de ressources que procure un puissant capital. Les conditions de cette grande culture sont les suivantes : 1° la possession de vastes espaces obtenus gratuitement ou à bas prix, et n’ayant à supporter qu’une faible rente; 2° l’emploi des moyens mécaniques pour toutes les manipulations et transports dans lesquels la force animale peut être remplacée; 3° une population ouvrière qui, quoique bien traitée et généralement satisfaite de son sort, ne coûte pas beaucoup aux entrepreneurs.

Est-il possible de réaliser ces trois conditions en Algérie? Les deux premiers points ne peuvent soulever aucune objection. Il est évident que, si le gouvernement veut féconder son domaine d’Afrique, il ne