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Cette nouvelle avait été un coup terrible pour mes parens : ma maladie était alors à son degré d’intensité le plus menaçant, et pour couvrir le déshonneur de son fils, mon père n’avait pas assez des épargnes de plusieurs années d’économie. Il avait fallu que des amis lui vinssent en aide, et on avait obtenu que mon frère achèverait l’année au séminaire, et qu’il paraîtrait ainsi n’en sortir qu’à son propre gré. C’était peu après l’arrangement de cette difficulté que ma guérison était survenue et m’avait rendue à ma famille.

Je passerai rapidement sur quelques incidens qui précédèrent un changement complet dans ma situation. Peu de temps après ma guérison, mes parens reçurent une lettre de ma tante de Twer, qui s’intéressait à Siméon. Elle nous apprit qu’il allait faire un riche mariage, et qu’il dépendait de lui à l’avenir d’effacer toute trace des fautes de son passé. À cette nouvelle, ma mère oublia ses chagrins, et de nouveau mon frère redevint à ses yeux l’appui, le soutien de la famille. — Pauvre femme, dit mon père en soupirant, c’est sur un roseau brisé qu’elle appuie son espoir, et ce roseau la blessera au vif. Puis il me prit à part. — Une triste époque va se dérouler devant toi, me dit-il, une époque de brumes que le regard de ton esprit aura grande peine à percer. Que ta sainte aspiration vers Jérusalem te soutienne ; mais accomplis strictement tes devoirs dans toute leur étendue, si tu veux ressembler à celui qui a bu le calice des douleurs Jusqu’à la lie avant de s’écrier : « Tout est accompli ! »

Quelques jours s’étaient passés depuis cette conversation, quand un ami de mon père vint le voir. — C’est sans doute ton prédestiné, me dit-il en riant, et il se tourna vers ma mère : « Tu sais, femme, quand tu me grondais de lui enseigner l’écriture et le calcul, je te répondais qu’elle séduirait un jour par sa science quelque riche marchand qui l’épouserait pour lui faire tenir ses livres et régler ses comptes. Voilà ce marchand, et je t’assure qu’il est suffisamment riche. J’ai le pressentiment qu’il deviendra ton gendre.

J’avais toujours la pensée de Jérusalem dans le cœur ; pourtant je baisai en souriant la main de mon père. L’hôte qu’il venait d’introduire n’était pas un jeune homme : c’était un très riche marchand, qui était déjà arrivé au milieu d’une vie laborieuse, mais dont la figure exprimait la bonté. Je le laissai seul avec mon père. Quand il fut parti, le vieillard m’appela. — Écoute, ma fille, me dit-il ; ce marchand m’a en effet parlé de toi, sans se prononcer pourtant. Il paraît songer à toi comme à une compagne qui pourrait l’aider dans ses travaux, qui pourrait apporter un précieux esprit d’ordre au sein de ses affaires. Et maintenant, ma fille bien-aimée, écoute-moi. Tu sais que le terme de ma vie approche, tu sais aussi qu’un mariage avantageux vient de se conclure pour ton frère. Une fois mes yeux fermés, il