Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/270

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pleine d’images, si empreinte encore dans sa naïveté poétique de la saveur et de la simplicité des champs. Les circonstances au milieu desquelles j’ai recueilli la confession de ma pauvre compatriote ajouteront elles-mêmes peut-être à l’intérêt de son récit, et on me permettra de leur laisser quelque place à côté du tableau dont elles forment en quelque sorte le cadre nécessaire.


I.

Un incident obligé de tout pèlerinage à Jérusalem, c’est une nuit passée dans l’église du Saint-Sépulcre. Les pèlerins chrétiens se laissent enfermer dans cette église au moins une fois pendant leur séjour, pour y entendre les vêpres et les matines. Les portes de l’église se fermant le soir, au coucher du soleil, et ne s’ouvrant que le matin, après le soleil levé, les chrétiens qui veulent entendre vêpres et matines sont forcés de subir une espèce de claustration, qu’ils mettent à profit pour parcourir l’immense édifice plus à loisir et avec plus de recueillement.

Un beau soir du mois de mars 1847, me trouvant à Jérusalem dans les premiers jours de la semaine sainte, j’avais suivi l’exemple des autres pèlerins, et je m’étais laissé emprisonner dans l’enceinte sacrée. Je comptais y passer les longues heures de la nuit dans le silence et la méditation; mais cet espoir fut trompé : tous les pèlerins de la Russie semblaient s’être donné le mot pour veiller comme moi-même dans le saint cloître. Une foule agitée se pressait autour de moi, et mon attention se porta forcément sur les types variés qui représentaient, au pied du Golgotha, toutes les provinces de l’empire russe, toutes les variétés aussi de l’exaltation religieuse de mes compatriotes. Un de ces types me frappa bientôt plus que les autres : c’était une espèce de fakir chrétien, dont la singulière industrie mérite qu’on en dise quelques mots. Cet homme, dans lequel je reconnus un de mes serfs, nommé Judas (singulier nom à prononcer en pareil lieu!), avait trouvé moyen de se faire un revenu fort honnête, grâce aux pèlerinages qu’il recommençait sans relâche, moitié par folie, moitié par dévotion. Il avait visité tous les monastères et s’était prosterné devant toutes les images miraculeuses que renferme la Russie. Je me rappelle qu’il vint me demander un jour la permission de se rendre à un monastère très renommé par l’austérité de sa règle, et situé dans une île de la Mer-Blanche. Dans un espace de temps incroyablement court, il vint me rejoindre à Saint-Pétersbourg, m’apportant un certificat délivré par le supérieur du couvent avec toute une collection de bizarres amulettes. Au reste, il revenait toujours de ses excursions la besace pleine d’objets consacrés qu’il vendait ensuite