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se plaçaient en général au sommet d’une élévation naturelle ou artificielle. Nous avons cru même remarquer que la petite montagne où l’on nous avait conduits pouvait avoir été grossièrement façonnée en pyramide, et que des degrés semblaient avoir été taillés sur ses côtés. Quoi qu’il en soit, de ce point on embrassait admirablement l’ensemble du pays, et nous n’avons pas regretté de nous être égarés pour jouir d’un tel spectacle.

Cependant il fallait voir la vraie pyramide de Cholula, et pour cela retourner à la ville. En y revenant, nous avons traversé de magnifiques champs d’aloès : ce sont les vignobles du pays, car c’est avec la sève de cette plante qu’on fait ce pulque, liqueur fermentée, dont s’enivre avec délices le peuple mexicain. Ces énormes aloès, dont les feuilles, de six ou huit pieds, sont dures, épaisses, lustrées, armées de pointes, ont cet air de férocité que Linnée dans son latin expressif attribue aux plantes d’Afrique : Africœ plantarum torva faciès et atrox. L’architecture est en harmonie avec la végétation. Une église bâtie en pierre blanche, et dont le dôme et le clocher se découpaient sur le bleu du ciel, ressemblait exactement à une mosquée d’Orient avec son minaret.

Nous avons traversé de nouveau Cholula, petite ville qui a été grande. On le reconnaît à l’étendue de la place, où de loin en loin se montrent quelques Indiens ou quelques Indiennes accroupis à l’ombre d’un cerceau garni de toile, qu’ils placent dans la direction du soleil. Cette fois nous avons été conduits aux véritables pyramides, car il y en a trois, comme à Gizèh. Une seule est considérable, et encore sa hauteur est loin d’approcher de la pyramide de Chéops; sa base est plus étendue : elle offre une longueur de 1,355 pieds; mais sa hauteur n’est que de 170 pieds, à peu près celle de la pyramide de Mycerinus, tandis que la grande pyramide de Gyzèh a plus de 450 pieds d’élévation. Les monumens dont on ignore l’histoire donnent lieu à des traditions merveilleuses qui parfois se ressemblent. L’imagination des Arabes a entouré de prodiges le berceau inconnu des pyramides égyptiennes; elle en a rattaché la construction au déluge. Il en a été de même au Mexique. Voici ce qu’au xvi" siècle on racontait sur les pyramides de Cholula[1].

Lors de la dernière grande inondation, le pays d’Anahuac était habité par des géans. Tous ceux qui ne périrent pas dans ce désastre furent changés en poissons, excepté sept géans, qui se réfugièrent dans des cavernes quand les eaux commencèrent à baisser. Un de ces géans, nommé Xelhua[2], qui était architecte, éleva près

  1. Cette tradition a été recueillie en 1566 par Pedro del Rio, et se trouve dans ses manuscrits conservés au Vatican.
  2. Prononcez Chelhuha.