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fait en Espagne ou en Italie, et comme je ne le pouvais faire aux États-Unis. La ville de Puebla est la seule qui ne s’élève pas sur l’emplacement d’une ancienne ville indigène; elle fut bâtie en 1530 par le commandement de don Antonio de Mendoza, vice-roi du Mexique. Il y a quelques années, les étrangers qui s’aventuraient à entrer dans Puebla, où nous nous promenons aujourd’hui si tranquillement, étaient reçus à coups de pierres comme dans une ville fanatique d’Orient. La vieille Espagne semble s’être réfugiée ici. Puebla est remplie de couvens et d’églises; c’est la cité la plus monacale et la plus cléricale du Mexique, et les couvens ont des moines. Ces moines, qui manquent à la physionomie traditionnelle de l’Espagne d’Europe, la complètent dans l’Espagne américaine. Le couvent des dominicains a un fort beau cloître. On y entre après avoir traversé un vestibule sur les murs duquel toutes les figures d’un crucifiement sont percées de balles, témoignage des guerres civiles qui forment l’état habituel du Mexique. Dans l’intérieur du cloître, les murs sont couverts de peintures représentant la vie du saint fondateur de l’ordre. Le premier de ces tableaux, qui est de beaucoup le meilleur et qui n’est certainement pas de la même main que les autres, montre le jeune saint Dominique vendant ses livres pour en donner le prix aux pauvres : c’est le triomphe de l’amour des hommes sur l’amour de la science. Dans l’escalier qui conduit aux corridors supérieurs, une fresque assez singulière représente saint Dominique mourant. La vierge Marie tient deux échelles par où descendent des anges dont l’un porte le costume des dominicains. En revanche, un peu plus loin, saint Dominique est représenté avec des ailes d’ange. Dans les anciennes peintures, le Père éternel est parfois affublé d’un costume sacerdotal; on pouvait identifier l’ange et le moine, puisqu’on identifiait le prêtre et Dieu. Dans un des tableaux dont se compose l’histoire de saint Dominique, on voit le saint rappelant à la vie des pèlerins anglais qui avaient été précipités dans la Garonne par les Albigeois. Je ne nie point le miracle, bien qu’il s’agisse de la Garonne.

L’église des dominicains est bien une église espagnole, avec des moulures et des dorures à profusion. Deux chapelles, dont l’une est celle de la Vierge, étalent toute la prodigalité du goût espagnol en ce genre et ce mélange de sculpture dorée, de bas-reliefs dorés, de tableaux encadrés dans l’or, qui éblouissent partout dans les églises d’Espagne. La statue de la Vierge est d’une magnificence que je n’ai vue égalée nulle part. Ce lieu rappelle au spectateur qu’il est dans le pays des mines d’argent. La Vierge est posée sur un vase de ce, métal qui a plusieurs pieds de circonférence; elle est vêtue en reine, et un petit page habillé de blanc, à genoux près d’elle, porte