Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il canone! et les bataillons napolitains se sont fait remarquer par leur intrépidité dans la retraite de Russie.

Le héros d’une de ces anecdotes est le général Santa-Anna lui-même. On disait à dîner qu’ayant invité dans la dernière guerre un commandant anglo-américain à se rendre, et celui-ci ayant répondu qu’il le ferait volontiers, n’était que ce poste lui avait été confié et qu’il devait tâcher de le défendre, Santa-Anna s’en tint à cette réponse et dit seulement dans son rapport : « J’ai sommé le général ennemi de se rendre (inlimado reddila); le général a refusé, et je me suis retiré. » Santa-Anna a payé de sa personne en face des Français à Vera-Cruz et y a honorablement perdu une jambe; seulement il eût été de meilleur goût de ne pas faire enterrer cette jambe avec les honneurs militaires. On racontait aussi qu’un parlementaire anglo-américain suivi de quelques hommes ayant rencontré un corps de Mexicains, ceux-ci se mirent à fuir; un des fuyards tombe, et le commandant de la petite troupe anglo-américaine lui dit avec un grand sang-froid : « Allez remettre cette lettre à votre commandant, il court trop bien pour que nous puissions espérer de l’atteindre. »

Une heure auparavant, j’avais eu un autre exemple du sang-froid de la race anglo-saxonne manifesté dans une circonstance plus terrible, dans l’incendie qui vient de détruire le bateau à vapeur l’Amazone et a causé la mort de plus de cent personnes. Un Anglais, en ce moment à Puebla, nous racontait ainsi comment il avait échappé à cette affreuse catastrophe : «J’étais sur le pont; j’ai vu qu’on mettait à la mer une embarcation; je me suis dit : je n’ai pas de confiance dans ce petit bateau; il va chavirer, — et en effet il a chaviré. On a mis une seconde embarcation à la mer; je l’ai considérée attentivement et j’ai dit : je n’ai pas de confiance dans ce petit bateau; il a chaviré comme le premier. — Un troisième m’a inspiré plus de confiance, et j’y suis descendu; mais il a chaviré comme les autres, et tous ceux qui s’y trouvaient se sont noyés, excepté moi. Je me suis cramponné à un banc, et j’ai fini par remonter sur le bateau qui s’était retourné; on l’a remis à flot, vingt autres passagers sont venus me rejoindre, et seuls nous avons été sauvés. » pour apprécier autant qu’elle le mérite cette présence d’esprit, il faut se transporter par la pensée sur un bâtiment qui brûle la nuit en mer par une tempête, c’est-à-dire au milieu de la plus formidable réunion de périls qu’on puisse imaginer.

Le soir, nous nous promenons à travers le marché de Puebla, qui se tient en permanence devant la cathédrale, et nous regardons avec curiosité les figures des Indiens accroupis à côté des feux qui éclairent leurs visages jaunes et leurs chevelures de jais.