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c’était un Polonais qui commandait celle des assiégés : nouveau trait caractéristique de ces luttes étranges. L’amiral polonais s’était fait battre ; l’amiral américain a été plus habile : il s’est fait acheter par ceux qu’il était chargé de combattre, pour lever le blocus et leur livrer les quelques bâtimens placés sous ses ordres, et c’est ainsi que le général Urquiza s’est trouvé privé d’un de ses plus puissans moyens d’action. Une fois ceci accompli, les événemens se sont précipités. Un officier argentin réfugié à Montevideo, le général Florès, a débarqué dans la province de Buenos-Ayres pour soulever les campagnes contre Urquiza et pour chercher à lui enlever ses troupes. Il a réussi, un corps d’armée envoyé contre lui par le directeur provisoire a fait défection, et c’est au point que le général Urquiza, abandonné de la plus grande partie de son armée, sans même attendre l’issue de négociations nouvelles nouées avec la ville, a dû regagner précipitamment la province d’Entre-Rios. La ville de Buenos-Ayres s’est donc trouvée délivrée, et la délivrance a été, comme on pense, célébrée par de grands triomphes et de pompeuses fêtes. Un nouveau gouverneur, le docteur Pastor Obligado, a été nommé. Ce n’est pas tout cependant d’avoir vaincu. La difficulté maintenant est de vivre. On peut se demander si les autres provinces accepteront la loi de Buenos-Ayres, si le congrès de Santa-Fé verra sa constitution supprimée avant d’avoir existé bien réellement. Que d’élémens encore de guerre civile ! Urquiza avait commis de grandes fautes. Le parti libéral de Buenos-Ayres est pourtant dans une grande erreur, s’il pense, en renversant Urquiza, s’être préservé du péril des antagonismes et des dominations militaires. Demain peut-être ce sera le tour des généraux qui ont aidé à évincer le vainqueur de Rosas, le libérateur de l’an dernier, tant l’anarchie est profonde et presque incurable dans ces malheureuses régions. Sur l’autre bord de la Plata, à Montevideo, il vient d’y avoir aussi un mouvement qui heureusement n’a point eu de suites. Malgré la défaite du général Oribe il y a deux ans, il ne faut pas croire que son parti fût sans force. Il était au contraire en majorité dans le pays, dans les chambres, au ministère. De là une assez grande irritation des anciens défenseurs de Montevideo. Depuis quelques mois déjà, il régnait une certaine agitation. Le 18 juillet, jour de l’anniversaire du serment prêté à la constitution, une collision s’engageait entre la milice nationale, composée des partisans d’Oribe, et les troupes de ligne, à la tête desquelles venaient se mettre bientôt les généraux Diaz et Pacheco y Obes dans une pensée de conciliation et d’apaisement. Le résultat a été la mise en fuite de la garde nationale, et à la suite le président, M. Giro, a changé son ministère. Il a appelé au pouvoir quelques-uns des hommes principaux du parti des anciens défenseurs de Montevideo, M. Berro, M. Herrera y Obez. Peu après, le calme était complètement rétabli dans la République Orientale, et le calme est certes un besoin pour elle, afin qu’elle puisse cicatriser les plaies d’un siège de dix ans, réparer ses finances complètement épuisées et obérées, stimuler le travail et l’industrie par un appel intelligent fait aux émigrans et aux capitaux étrangers, et devenir enfin un état régulier au milieu de cette Amérique si tristement et si stérilement agitée.

ch. de mazade.
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V. de Mars.