Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/198

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fraiches ou salées. Cette réduction n’est point peu de chose, puisque sur certains articles, sur les bœufs par exemple, le droit s’abaisse de 50 francs à 3 francs par tête. Quelle sera dans l’application la portée de ce décret ? Il a évidemment pour but de faire diminuer le prix des viandes livrées à la consommation et de rendre accessible au plus grand nombre une alimentation substantielle. En lui-même, le principe est excellent ; mais, en réalité, ses effets tiennent à une infinité de circonstances, à la différence des conditions locales. À Paris notamment, il n’est point sûr que l’abaissement des droits d’importation ait un résultat bien sensible, tant que la boucherie restera un monopole. C’est ce monopole plus que tout le reste qui favorise le maintien de prix élevés sur les viandes. Nous savons tout ce qu’on peut dire pour la défense du commerce constitué comme il l’est aujourd’hui. Il n’y a point cependant de priviléges à Londres, et l’Angleterre ne s’en trouve pas plus mal. L’existence du privilège fait que souvent des mesures prises dans l’intérêt des consommateurs commencent par profiter aux commerçans eux-mêmes ; l’effet s’arrête en route. Quant aux campagnes, il est certain qu’il en est beaucoup où l’usage de la viande est peu répandu, où il est même plus rare que ne le pensent parfois les économistes, qui voient souvent de chez eux ; mais cela tient-il à l’élévation des droits d’importation ? Il n’en est rien. Cela tient sans doute en partie au peu de ressources des habitans des campagnes, et aussi à des habitudes d’alimentation différente, à de la sobriété chez beaucoup, à de l’économie. Nous étonnerions peut-être bien des gens en leur parlant de contrées en France où il y a des paysans même riches qui n’achètent point de la viande dix fois en une année, et où il n’y a point de boucher : à quoi nous pouvons ajouter au surplus que la population y est aussi saine et aussi vigoureuse qu’ailleurs. Il n’en faut pas conclure qu’il n’y ait rien à améliorer dans cet état de choses. Il faut au contraire s’efforcer de rendre possible et facile pour tous une nourriture substantielle ; mais en même temps il ne faut pas croire avoir tout fait, avoir pourvu à tous les besoins en faisant une sorte d’idéal dithyrambique de l’usage de la viande. Quant à nous, notre économie politique serait bien simple : elle consisterait à ne laisser subsister nulle part aucun monopole dans le commerce de In boucherie pour que le privilège ne maintienne pas un objet essentiel de consommation au-dessus des ressources du plus grand nombre, — à développer du mieux qu’on peut l’aisance chez les habitans des campagnes en les laissant libres de faire ce qu’ils veulent, même de ne pas manger de la viande, si cela leur convient, — et à maintenir parmi eux de salutaires influences morales, pour qu’ils ne se créent point des goûts et des besoins factices, et pour qu’ils ne soient pas un peu moins riches dans le bien-être qu’on leur aura donné que dans leur pauvreté première.

Quant aux incidens politiques d’une autre nature propres à caractériser notre situation intérieure, le plus saillant sans doute est le discours de l’empereur à la levée du camp de Satory. Deux paroles sont à remarquer surtout dans ce discours : l’une qui remet aux armées le soutien des empires dans les temps difficiles, l’autre qui fait de l’abnégation, du désintéressement de la vie militaire une sorte de reproche aux énervemens de la paix, à l’amour des richesses qui se développe dans d’autres classes : paroles également graves, également significatives, de quelque manière qu’on les comprenne.