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frappant une denrée de première nécessité, pourrait devenir à certains jours un prétexte de réclamations populaires. Ce qui s’est passé en Angleterre est là pour nous enseigner avec quelle énergie une nation habilement excitée se soulève contre les impôts qui atteignent les subsistances. De plus, le décret du 14 septembre enlève un argument très puissant au parti exclusif qui voudrait ajourner indéfiniment toute réforme douanière dans notre régime industriel : on ne pourra plus dire que la protection agricole élève le prix des denrées alimentaires et enchérit la main-d’œuvre. Quand on aura vu clair d’un côté, on sera bien près de plonger un regard plus sûr dans l’ensemble du système et de corriger le défaut des prohibitions, les excès et les abus de certains droits protecteurs. Enfin, lors des négociations commerciales qui seront engagées avec les nations étrangères, celles-ci n’auront plus à nous objecter, comme elles l’ont fait souvent depuis 1822, les taxes exorbitantes qui repoussaient leurs bestiaux. Ce sont là, nous le répétons, de grands avantages. Il y a tout à gagner au retour vers les saines idées économiques, qui conseillent de ne point taxer outre mesure, et à plus forte raison de ne point taxer inutilement les denrées alimentaires.

Mais nous ne devons pas perdre de vue que le principal but du gouvernement en promulguant le décret du 14 septembre a été d’abaisser le prix du bétail, afin de compenser la hausse inévitable du pain. On saura bientôt par les mercuriales si la modération du tarif des douanes atteindra ce but. A notre avis, et nous nous sommes attaché à le démontrer par les explications qui précèdent, ce n’est point au tarif qu’il faut attribuer la plus grande part de responsabilité dans la cherté de la viande : ce qui entrave surtout la consommation, ce sont les taxes d’octroi et les règlemens relatifs au régime de la boucherie. L’étude de cette question nous entraînerait trop loin; elle a d’ailleurs été faite par la commission d’enquête parlementaire de 1851, et on peut en lire les résultats dans les interrogatoires des témoins ainsi que dans le rapport de M. Lanjuinais. Après un examen approfondi, la commission d’enquête n’a pas hésité à proposer la liberté complète du commerce de la boucherie, ainsi que la suppression de la taxe dans les villes. Quant aux droits d’octroi, elle a demandé : 1° qu’ils ne pussent être désormais établis sur la viande dans les villes où cette denrée n’a pas été jusqu’ici imposée; 2° que dans les localités où ils existent, ils ne dépassent pas.5 centimes par kilogramme, sauf certaines exceptions; 3° qu’à partir de 1860 ils soient supprimés dans toute la France. A l’appui de ces demandes, rédigées sous forme de projet de loi, M. Lanjuinais a publié de nombreux documens qui attestent l’étendue des charges que l’octroi impose au commerce de la viande. Sur 1,300 communes sujettes à l’octroi, 1,200 taxent le bétail, et sur un revenu total de 86 millions, la viande seule procure plus de 2j millions. Les départemens où l’impôt qui frappe cette denrée est le plus productif sont, d’après les relevés de l’année 1850 :


La Seine 7,870,080
Le Rhône 1,251,000
Les Bouches-du-Rhône 1,247,000
La Gironde 946,000
La Seine-inférieure 828,000
Le Nord 748,000