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vrai que les tragédies écrites depuis vingt ans ne sont guère que des calques plus ou moins ingénieux des tragédies écrites au XVIIe siècle, et l’opinion n’est pas précisément coupable en déclarant morte cette forme de la pensée dramatique. A quoi se réduit, en effet, le rajeunissement de la forme tragique, tel qu’il a été conçu de nos jours? Parlons sans amertume et sans indulgence. Nous avons vu tout à l’heure le drame, qui prétendait régénérer le théâtre, préférer à l’histoire l’anecdote et le pamphlet, préférer la splendeur du costume et de la décoration à l’étude des sentimens humains : la tragédie, il faut bien le dire, a suivi une méthode pareille. Les archéologues avaient signalé depuis longtemps l’intervalle qui sépare l’antiquité interprétée par le XVIIe siècle de l’antiquité vraie. La découverte était facile. Il suffisait de relire Sophocle et Euripide pour voir que Racine s’était trompé en nous présentant Oreste et Pyrrhus, Hermione et Andromaque. Ces quatre personnages, très vrais, si l’on veut se contenter de les étudier au point de vue purement humain, n’ont pas une couleur antique. Les poètes tragiques de nos jours ont emprunté les lumières de l’érudition pour donner à leurs œuvres un accent de vérité. L’intention était bonne, je me plais à le reconnaître, mais comment s’est réalisée cette intention? C’est là ce qu’il s’agit d’examiner. Le XVIIe siècle avait façonné la Grèce et l’Italie antiques à l’image de la cour de Louis XIV; Racine, qui avait le malheur de préférer Euripide à Sophocle, et il ne l’a que trop prouvé. Racine, qui avait appris par cœur le roman d’Héliodore, dessinait ses héroïnes d’après Mme de Montespan et Mme de La Vallière; mais il gardait du moins, dans ses aberrations les plus singulières, un respect profond pour la nature humaine. Les poètes de nos jours, qui ne savent guère distinguer Sophocle d’Euripide, qui ne vivent pas dans un commerce familier avec les lettres grecques, ont imaginé un moyen très puéril de renouveler la forme tragique : ils ont interrogé l’érudition sans se donner la peine de vérifier les conclusions auxquelles l’érudition était arrivée. Témoins des succès éphémères obtenus par le drame qui se disait historique, ils ont cru que l’archéologie suffisait à renouveler une forme que l’opinion avait condamnée : ils ont nommé par leur nom tous les vêtemens, toutes les agrafes, tous les détails de la chaussure; ils se sont réjouis de cette innovation, comme s’ils eussent découvert un continent nouveau. Si les esprits frivoles, qui sont malheureusement, qui seront toujours en trop grand nombre, ont accepté avec joie cette prétendue rénovation, la critique ne peut s’associer à cet aveuglement. La connaissance la plus complète de tous les détails du costume grec ou romain ne peut suffire à renouveler la forme tragique. Pour prétendre au titre de créateur, il faut quelque chose de plus. Je reconnais volontiers que le XVIIe siècle a travesti