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des sceaux, » prouve, s’il est vrai, que ce prince jugeait sainement la situation. Cependant tout devait concourir à rendre le triomphe de Beaumarchais plus éclatant. Le roi, ne pouvant se décider à permettre la représentation d’une pièce qu’il jugeait dangereuse et immorale, essaya de traîner la chose en longueur et résista encore sept mois.

Dès le lendemain de la représentation de Gennevilliers, l’auteur du Mariage de Figaro, agissant comme si sa cause était gagnée, avait demandé formellement au lieutenant de police la permission de faire jouer sa pièce. Ce magistrat lui avait répondu que la défense du roi donnée le jour de la représentation des Menus-Plaisirs subsistait encore et qu’il devait en référer à sa majesté. « Deux mois après, écrit Beaumarchais dans la lettre inédite à M. de Breteuil, M. le lieutenant de police me dit que le roi avait daigné répondre qu’il y avait, disait-on, encore des choses qui ne devaient pas rester dans l’ouvrage ; qu’il fallait nommer un ou deux nouveaux censeurs, et que l’auteur corrigerait sa pièce d’autant plus facilement que la pièce était longue. M. Lenoir eut la bonté d’ajouter qu’il regardait cette lettre du roi comme une levée de la défense de jouer la pièce aussitôt après l’examen des nouveaux censeurs. »

On voit avec quel soin Beaumarchais, à mesure qu’il avance, se fortifie derrière chaque portion de terrain conquis. Cependant on cherchait toujours à traîner en longueur. Le censeur annoncé ne fonctionnait pas ; mais Beaumarchais n’était pas homme à se laisser oublier.


« Monsieur, écrit-il au lieutenant de police en date du 27 novembre 1783, si la multitude de vos occupations vous permettait de vous rappeler que j’en ai beaucoup moi-même, et que depuis trois mois j’ai fait cinquante fois le chemin du Marais à votre hôtel sans avoir pu vous parler plus de cinq fois, pour obtenir la chose la plus simple, — une décision sur un ouvrage frivole, — vous auriez peut-être compassion du rôle pitoyable qu’on me force à jouer dans cette comédie. Si ce sont des dégoûts qu’on vous prie de me donner, je les ai bus jusqu’à la lie ; s’il s’agit d’une proscription absolue de tout ce qui sort de ma plume, pourquoi me faire attendre cet arrêt et me refuser tout moyen de savoir à quoi m’en tenir ? Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien me remettre mon manuscrit ; cette bagatelle n’est devenue importante pour moi que par l’acharnement qu’on a eu de m’en faire un tort public, sans vouloir permettre que le public en jugeât lui-même.

« Je ne doute pas, monsieur, que vous, qui ne m’avez montré que de la bienveillance, n’ayez quelques regrets des désagrémens qu’on vous oblige sans doute à me donner ; mais il est temps qu’ils finissent. Jamais affaire grave ne m’a causé tant de tracas que la plus folle rêverie de mon bonnet de nuit, qui est cette pièce. Le public de province et de Paris m’accable de lettres auxquelles je ne sais que répondre ; je ne sais que dire aux comé-