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la gaieté, quoique approchant de ce qu’on nomme gaudrioles. Il y avait d’énormes gaudrioles, qu’on lit encore bâtonnées sur le manuscrit de la Comédie-Française, et qui ne furent supprimées que par le quatrième censeur, M. Desfontaines, dans un rapport du 15 janvier 1784, et par conséquent nous devons supposer qu’elles ont été proférées en 1783 devant cet illustre auditoire de Gennevilliers[1]. Il y avait aussi dans le monologue du cinquième acte des passages qui renforçaient encore le caractère frondeur de ce monologue. Il dut se rencontrer parmi les spectateurs de Gennevilliers quelques esprits plus scrupuleux que les autres qui se prononcèrent pour le maintien de l’interdiction lancée par le roi ; mais l’ensemble de ce brillant auditoire se déclara enchanté de la pièce, sauf quelques légères suppressions. C’est là en effet, à partir de la représentation de Gennevilliers, le thème de M. de Vaudreuil, qui plaide ouvertement pour la représentation publique, et qui n’est plus occupé qu’à obtenir de Beaumarchais le sacrifice de quelques phrases. Quant à lui, le changement qui s’opère dans son attitude indique qu’il est sûr de vaincre. Plein de patience jusqu’ici devant la prohibition royale, travaillant lentement et habilement à gagner du terrain, il devient impatient, pressant, presque impérieux. Il est clair, en effet, pour quiconque réfléchit un peu, que du jour où Louis XVI avait accordé à la reine, au comte d’Artois, à M. de Vaudreuil, à Mme de polignac, la représentation de Gennevilliers, il s’était mis dans le cas de ne pouvoir résister longtemps à la curiosité publique, portée au comble par cette représentation même, dont tout le monde parlait, et soigneusement entretenue par Beaumarchais. Ceux qui font un reproche à Louis XVI d’avoir laissé arriver le Mariage de Figaro jusqu’à la scène oublient que sous l’ancienne royauté le public n’était pas absolument un troupeau docile, et que si son influence disparaissait quelquefois dans les affaires importantes, elle se produisait souvent dans des questions secondaires ou frivoles avec une énergie à laquelle il eût été dangereux de résister. — Le mot qu’on attribue à Louis XVI : « Vous verrez que Beaumarchais aura plus de crédit que le garde

  1. Qu’on se représente les plus grandes dames de la cour écoutant par exemple Figaro au troisième acte, qui disait à son maître à propos des infidélités du comte et en parlant de la comtesse : « À sa place, moi, je ne dis pas ce que je ferais. — Le Comte. Je te le permets. — Figaro. Quelque sot. — Le Comte. — Je te l’ordonne. — Figaro. Instruite de vos faits et gestes et prenant conseil de l’exemple, je vous solderais vos petits bâtards en un bon gros enfant légitime,… et puis cherche. » Ailleurs, au premier acte, le vieux Bartholo répondait à Marceline, qui le conjure de l’épouser, par cette phrase qui est bien le nec plus ultra de la forme subtile et prétentieuse que Beaumarchais applique parfois à une idée grossière, comme s’il cherchait à marier ensemble Voiture et Rabelais : « J’irais, disait Bartholo, j’irais, grison apoplectique, agacer risiblement la mort avec les jeux printaniers qui donnent la vie ! Vous me prenez pour un Français. »