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d’Artois y vient chasser vers le 18, et Mme la duchesse de Polignac avec sa société y viennent souper. Vaudreuil m’a consulté pour leur donner un spectacle, car il y a une salle assez jolie, et je lui ai dit qu’il n’y en avait pas de plus charmant que le Mariage de Figaro, mais qu’il fallait avoir l’agrément du roi. Nous l’avons eu, et je suis vite accouru chez vous, que j’ai été fort étonné et fort affligé de savoir bien loin. La pièce est bien sue, comme vous savez : nous donneriez-vous votre agrément pour qu’elle fût jouée ? Je vous promets bien tous mes soins pour qu’elle soit bien mise. M. le comte d’Artois et toute la société se font la plus grande fête de la voir, et certainement ce serait un grand acheminement pour qu’elle fût jouée peut-être à Fontainebleau et à Paris. Voyez si vous voulez nous faire ce plaisir-là. Pour moi, en mon particulier, j’en ai le plus grand désir et vous prie de me faire vite, vite réponse. Qu’elle soit favorable, je vous en prie, et ne doutez point de ma reconnaissance ni des sentimens d’estime et d’amitié[1] avec lesquels je serai toujours, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

« Le duc de Fronsac. »


Le même jour sans doute ou la veille, le duc de Fronsac écrit à l’intendant des Menus-Plaisirs, M. de La Ferté, cet autre billet qui a aussi son prix :


« À Saint-Denis.

« Depuis ma lettre écrite, mon cher La Ferté, et depuis une que j’ai écrit à Des Entelles et qu’il recevra ce soir à Paris, la reine m’a dit que le roi consentait à ce que le Mariage de Figaro fût joué à Gennevilliers vers le 18[2] ; ainsi je vous prie de dire à Des Entelles de faire tous les arrangemens en conséquence. Si Beaumarchais n’est pas à Paris, il faut lui envoyer un courrier quelque part qu’il soit, et en prévenir les comédiens, en faisant le moins de bruit possible. Je serai toujours jeudi à Paris, pour dîner. J’avais mandé à Des Entelles de demander à Carline à dîner pour moi pour ce jour-là, parce que je ne savais pas qu’on jouerait les Noces de Figaro ; mais au lieu de cela qu’il le demande à Contat[3], pour que nous arrangions tout cela. Bonjour. »

  1. Il va sans dire que le duc de Fronsac écrit, comme toujours, les senttimens d’esttime et d’amittié, etc.
  2. Cette phrase du duc de Fronsac nous prouve que Mme Campan, de son côté, fait comme Mme Lebrun et arrange aussi les choses à sa manière, car elle nous dit dans ses Mémoires : « La reine témoigna son mécontentement à toutes les personnes qui avaient aidé l’auteur du Mariage de Figaro à surprendre le consentement du roi pour la représentation de sa comédie à Gennevilliers. » On voit combien Mme Campan est ici peu au courant de la vérité. L’auteur du Mariage de Figaro est en Angleterre, et par conséquent ne cherche à surprendre aucun consentement, et c’est la reine en personne qui transmet au duc de Fronsac le consentement du roi, d’où il suit que, pour faire ce que dit Mme Campan, la reine aurait eu d’abord à se témoigner son mécontentement à elle-même. La lettre du duc de Fronsac semble indiquer au contraire que, pour être agréable au comte d’Artois, à M. de Vaudreuil et à Mme de Polignac, la reine de son côté, avait contribué à obtenir du roi cette permission.
  3. Je pense que si Mlle Contat avait lu ce billet, elle aurait été médiocrement flattée de se voir ainsi placée pour un dîner sur la même ligne que Mlle Carline, qui, si je ne me trompe, était une sorte de fille entretenue. On n’est pas fâché non plus de savoir que