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une grande pauvreté d’esprit et une grande ignorance. C’était bien sur lui que tombait d’aplomb la fameuse phrase : Vous vous êtes donné la peine de naître, car il ne s’était jamais soucié d’ajouter quelque chose à cette peine-là ; mais, comme Beaumarchais avait dit dans sa pièce : « Il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits, » le duc tenait essentiellement à ne point passer pour un petit homme, et il patronnait de son mieux le Mariage de Figaro. Nous donnons ici textuellement un des billets du duc de Fronsac à Beaumarchais. Ceux qui ont lu dans la correspondance de Voltaire une lettre où l’auteur de Zaïre exprime au duc de Richelieu ses regrets de n’avoir pu se charger de l’éducation de son fils aîné reconnaîtront facilement que cette éducation laisse en effet quelque chose à désirer. Après cela, si on veut bien se souvenir que le duc de Fronsac était colonel à l’âge de sept ans, on comprendra mieux qu’il n’ait pas eu le temps d’apprendre l’orthographe. Voici son billet :


« Vous m’avez fait fermer votre portte hièr, monsieur, et cela n’est pas trop bien ; mais je n’en garderai pourttant pas assez de rancune pour ne pas vous parler de la négotiation dont je suis chargé vis-à-vis de vous par Mme  la princesse de Lambal qui aurait grande envie d’enttendre le Mariage de Figaro dont on lui a fait les plus grands éloges ainsi qu’à moi, et elle vous proposerait de venir mercredi prochain à Versailles. Je vous donnerais à dîner, et ensuitte nous irions chez elle. Je suis enchantté que la paix soit réttablie avec la Comédie[1] et vous prie de me mander si vous accepttez ma proposition. Adieu, vous conoissez les senttimens avec lesquels je serai toujourr, monsieur, votre très humble et très obéissant servitteur.

« Le duc de Fronsac. »


Beaumarchais refuse sans doute une seconde fois de donner audience au duc de Fronsac, car voici un second billet de lui non signé qui n’est pas plus daté que le premier, mais qui en est évidemment une conséquence, et dans lequel il revient à la charge avec la même abondance de fautes d’orthographe. Il nous semble inutile de les reproduire encore une fois.


« À Versailles, ce vendredi.

« Je suis bien flatté de l’honneur que m’a fait votre ménagère de me refuser sa porte, et d’autant plus que malheureusement je m’en reconnais indigne, dont bien me fâche[2] ; mais au surplus, ce n’est pas de cela dont il

    déjà n’offrait rien de bien extraordinaire, disait : « Il est affligeant de trouver un si petit homme dans le fils du maréchal de Richelieu. »

  1. Allusion au procès de Beaumarchais contre les comédiens, ce qui nous donne la date de ce billet : il doit être de la fin de 1781 ou du commencement de 1782.
  2. Il paraît qu’on ne se gênait point chez Beaumarchais pour refuser la porte au duc de Fronsac, puisque c’est la seconde fois que pareille chose arrive. La phrase sur la ménagère ressemble à de la fatuité sous un masque de modestie. Mme  de Beaumarchais étant très jolie, ce duc, qui du reste n’avait rien des agrémens de son père, n’a-t-il pas l’air de supposer qu’on a craint l’aspect de sa personne !