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son cabinet. Elle le fut par M. Coqueley, avocat, et je supplie M. Lenoir de mettre sous vos yeux ses retranchemens, sa censure et son approbation. Six semaines après, j’appris dans le monde que ma pièce avait été lue dans toutes les soirées de Versailles, et je fus au désespoir de la complaisance peut-être forcée du magistrat sur un ouvrage qui m’appartenait encore, parce que ce n’est point là la marche austère, discrète et fidèle de la grave censure. Bien ou mal lue, ou méchamment commentée, on trouva la pièce détestable, et sans que je susse par où je péchais, parce qu’on n’exprimait rien selon l’usage, je me vis à l’inquisition, obligé de deviner mes crimes, et me jugeant tacitement proscrit ; mais comme cette proscription de la cour n’avait fait qu’irriter la curiosité de la ville, je fus condamné à des lectures sans nombre. Toutes les fois qu’on voit un parti, bientôt il s’en forme un second… »


Il me paraît évident que dans tout ce passage Beaumarchais fait surtout allusion à cette lecture de son manuscrit faite par le roi lui-même, dont parle Mme  Campan et dont l’auteur aurait eu connaissance, ce qui reporte cette lecture à une époque un peu antérieure à celle que semble indiquer Mme  Campan. Dès le commencement de 1782, la question se pose donc ainsi : le roi a lu le manuscrit, déclare la pièce détestable et injouable ; beaucoup de personnes de la cour probablement commencent par faire chorus, et Beaumarchais entreprend de lutter contre ce qu’il appelle la proscription de la cour (ne voulant pas spécifier davantage, car il a déjà à la cour de très chauds partisans), en excitant la curiosité de la ville par des lectures habilement ménagées. Ce fut bientôt à qui obtiendrait la faveur de l’entendre, soit chez lui, soit dans les plus brillans salons, faisant la lecture de sa pièce, qu’il lisait, à ce qu’on assure, avec un rare talent. « Chaque jour, écrit Mme  Campan, on entendait dire : J’ai assisté ou j’assisterai à la lecture de la pièce de Beaumarchais. »

J’ai sous les yeux le manuscrit qui servait à ces lectures de salon ; il est beaucoup plus élégant que celui de la Comédie-Française ; les feuillets sont soigneusement attachés avec des faveurs roses ; le tout est recouvert d’une enveloppe en carton, sur laquelle Beaumarchais a écrit de sa main, en belles lettres moulées, ce titre : Opuscule comique. Singulier titre pour une volumineuse comédie en cinq actes, sorte de levier qui a contribué à faire sauter l’ancien régime ! Sur la première feuille de ce manuscrit se trouve une espèce d’avant-propos qui n’a jamais été publié et qui est intitulé préliminaire de la lecture, c’est-à-dire qu’avant de lire sa pièce Beaumarchais commençait par lire une page que nous ne citerions point, parce qu’elle est un peu effrontée et d’un goût équivoque, si nous ne savions, — ainsi qu’on l’apprendra tout à l’heure, — que les plus grandes et même les plus vertueuses dames, la princesse de Lamballe, par exemple, ou la grande-duchesse de Russie, plus tard impératrice, et