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M. Thomas, madame, où l’auteur a célébré les vertus des dames en deux beaux volumes, qu’il faut lui envoyer.

« Au reste, personne ne pouvant mieux juger de ce qui est profitable ou nuisible à son fils qu’une excellente mère comme vous, J’ai l’honneur de vous adresser cette chanson, l’un des plus grands torts de ma jeunesse. À vous, madame, de la soustraire ou de la laisser passer. Je lave mes mains, entre les innocens, du mal qui peut en résulter pour le fils, si la mère devient complice de ma faute passée après que je l’ai rendue confidente de mes scrupules présens. Je ne chercherai pas non plus à excuser devant vous les blasphèmes de ma chanson avec la coupable légèreté que j’y mis autrefois, lorsqu’une dame irritée me demanda pourquoi je ne chansonnais pas les hommes. Étaient-ils plus parfaits à mes yeux ? « Les noirs défauts des hommes, lui dis-je, ne sont bons qu’à punir ; il n’y a que ceux des femmes qui soient charmans à chanter, quelquefois même à partager. » C’était bien là le discours d’un jeune homme abandonné de Dieu et perdu de licence. Je suis fort loin aujourd’hui d’approuver une morale aussi relâchée, et, si je prends sur moi de vous envoyer ma chanson avec tout ce qu’elle a de blâmable, c’est autant pour m’humilier devant vous d’avoir eu le tort de la faire que pour vous donner une preuve non équivoque de l’obéissance et du dévouement respectueux avec lesquels j’ai l’honneur d’être, madame la marquise, etc.,

« Caron de Beaumarchais. »


Il est un autre côté de la vie de Beaumarchais à cette époque qui offre également de l’intérêt en lui-même et comme explication de l’influence qu’il peut exercer à un moment donné. Il n’est pas seulement un homme qui a prise sur les ministres, qui protège beaucoup de solliciteurs et qui a des relations de société très étendues ; il est un financier opulent que l’on croit plus riche encore qu’il ne l’est, et qui donne ou prête beaucoup d’argent à toutes sortes de personnes. Son caissier Gudin constate qu’il lui arrivait en moyenne vingt demandes d’argent par jour, et cela s’explique. À force de dire du mal de lui, ses ennemis l’obligeaient à en dire du bien. Il était souvent contraint d’afficher un peu sa générosité. Il s’ensuit que le public le prenait au mot, et que de tous les coins de la France on le sommait de prouver qu’il ne se vantait pas. Parmi les sommations de ce genre, il en est d’assez originales :


« Le diable m’emporte, monsieur, lui écrit de Saint-Brieuc un jeune sous-lieutenant, vous êtes un homme charmant. Je viens de lire vos Mémoires[1] qui m’ont fait un plaisir infini. On ne peut habiller son monde plus complètement. On m’a dit que vous étiez fort riche ; eh bien ! la différence, c’est que je ne le suis guère et que vingt-cinq louis feraient que je le serais beaucoup. Donc, en conscience, pour faire les choses aussi joliment que vous les dites, vous devriez m’envoyer ces vingt-cinq louis : je vous les rendrai dans un an,

  1. Ce sont sans doute les Mémoires contre Guëzman, que cet officier lisait un peu tard, puisque sa lettre est de 1780.