Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/131

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et avec lesquels je suis inviolablement, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

« De Calonne. »


Ce n’est pas seulement à son profit que Beaumarchais utilise son crédit auprès des ministres : il est le patron d’une foule de solliciteurs : gens de lettres, artistes, financiers, magistrats, acteurs, actrices, tout le monde s’adresse à lui. Soit qu’il plaide auprès de M. de Maurepas pour Marmontel demandant la place d’historiographe ; soit qu’auprès du garde des sceaux il défende l’avocat-général Dupaty, son ami, contre les préventions des vieilles têtes parlementaires de Bordeaux ; soit qu’il prie M. Necker de venir en aide à quelque banquier en déconfiture ; soit que, pressé par les supplications de la famille La Reynière, qu’épouvantent les déportemens d’un fils, il aille jusqu’à demander au ministre de la maison du roi, M. de Breteuil, le maintien d’une lettre de cachet contre ce fils maniaque et haineux ; soit enfin qu’il ait à protéger quelque artiste auprès des grands seigneurs qui dirigeaient alors les théâtres royaux, Beaumarchais travaille pour autrui avec autant d’ardeur et d’insistance que pour lui-même. Je n’en citerai qu’un exemple qui prouvera combien ses recommandations ressemblent peu aux recommandations vagues, indifférentes et banales que distribue journellement un homme influent, mais très occupé. Peut-être aussi trouvera-t-on un certain attrait inattendu de curiosité à voir Beaumarchais protéger, avec un désintéressement qui paraît vraiment très sincère, une jeune et jolie personne qui veut entrer au Théâtre-Italien, et la protéger non-seulement parce qu’elle a du talent, mais parce qu’elle est sage. La lettre est adressée à M. de La Ferté, intendant des menus, c’est-à-dire préposé à l’administration des théâtres sous la surveillance des quatre premiers gentilshommes de la chambre.


« Paris, le 16 mars 1782.

« Lorsqu’on fait une recommandation, monsieur, à un homme aussi éclairé que vous l’êtes en faveur de quelqu’un, il faut la motiver de façon qu’il puisse reconnaître qu’on ne cherche pas à l’intéresser pour un objet de pure fantaisie. C’est ce que je vais tâcher de faire en vous recommandant Mlle  Méliancourt, dont j’ai déjà beaucoup parlé à M. le maréchal de Richelieu.

« Ce que tout le monde voit fort bien en elle est une figure agréable et la plus charmante voix ; mais ce qui ne frappe pas autant la multitude est son grand talent musical, fruit d’une longue étude et de l’excellente éducation qu’elle a reçue. Ce seul avantage devrait lui mériter toutes sortes de préférences pour un théâtre où, forcé de jouer la comédie en chantant, l’acteur le plus musicien sera toujours celui dont le talent comique se développera le plus tôt, parce que l’idiome musical dont il se sert ne l’embarrassera jamais. Aussi, lorsque je vois un acteur ou une actrice gauche au Théâtre-Italien, je dis : Ou c’est une bête incurable, ou c’est un sujet qui n’a point de musique. On ne fait pas assez d’attention à cela.