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moment même, et la chambre nouvelle doit se réunir le 19 décembre. Ce qu’il y a de plus singulier, C’est que cette dissolution de la chambre élective n’a été nullement l’effet d’un incident propre à cette chambre même. C’est un vote du sénat, hostile au ministère, qui a servi de motif à cette mesure. Le président du conseil, M. de Cavour, justement préoccupé de la situation financière du Piémont, avait préparé diverses lois, dont l’une avait pour but de confier à la banque nationale le service de la trésorerie de l’état. C’est cette dernière loi qui, après une discussion animée, était rejetée par le sénat le 18 novembre. Quelque grave que fût cet échec, le cabinet de Turin n’aurait-il pas dû hésiter à en venir à la ressource extrême d’une dissolution, lorsqu’en réalité le vote du sénat avait un caractère plutôt financier que politique ? Ceci n’est plus aujourd’hui qu’une question rétrospective. En présence de l’opposition d’un des corps de l’état, le ministère piémontais a voulu consulter le pays, et le pays a répondu maintenant. Le résultat de la plupart des élections est connu ; or ce résultat change-t-il la situation respective des partis ? Une majorité considérable est acquise au ministère ; mais cette majorité existait déjà. D’un autre côté, l’opposition radicale a gagné quelques voix, et si l’opposition cléricale ne s’est point accrue numériquement, elle sera, à ce qu’il semble, représentée dans la nouvelle chambre par des hommes plus importuns. Au fond, on le voit, la situation n’a pas essentiellement changé ; seulement la politique du cabinet de Turin a reçu une solennelle sanction du pays. C’est là sans doute ce que voulait M. de Cavour. Aujourd’hui, dans quel sens se servira-t-il de cette force que vient de lui donner le vote populaire ?

Si on l’observe bien, le Piémont est toujours dans une situation des plus délicates et des plus difficiles. Ce ne sont pas seulement ses finances qui sont grevées d’un déficit chaque jour croissant. Il y a des problèmes non moins graves ; il y a toutes les questions qui touchent aux relations du pouvoir civil et du pouvoir religieux. Depuis quelque temps, ces questions ont sommeillé quelque peu, à la suite du rejet que le sénat fit l’an dernier de la loi sur le mariage civil. Aujourd’hui le cabinet de Turin ne manque pas d’amis indiscrets qui le représentent comme décidé à reprendre la lutte après s’être fortifié par le suffrage populaire. S’il en était ainsi, ce serait là le véritable péril pour le pouvoir de M. de Cavour, et non-seulement pour le président du conseil, mais peut-être pour le Piémont. Malgré toutes les excitations qui peuvent l’entourer, il est peu présumable encore que M. de Cavour se jette aventureusement dans de telles tentatives. Ce qui est plus probable, c’est qu’il tient à la réalisation de ses plans financiers et économiques, et en définitive il n’est point impossible que le seul résultat des élections dernières ne soit d’assurer à ces plans un peu plus de succès.

Il y a dans tous les cas un fait à observer, c’est le calme dans lequel se sont accomplies les élections générales en Piémont. Cette régularité n’est point malheureusement ce qu’il y a de plus caractéristique dans la manière dont fonctionne la vie constitutionnelle en Espagne. Ce que nous pressentions récemment n’a pas tardé à se réaliser. À peine les cortès étaient-elles réunies, que déjà on pouvait considérer leur suspension comme prochaine. Cette suspension est aujourd’hui un fait accompli. Il ne reste plus qu’à se demander si elle sera suivie d’une dissolution, et si une chambre nouvelle