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forces du monde moral ? Un des plus curieux spectacles est celui de ce travail dans toutes les régions où il s’accomplit d’une manière éclatante ou mystérieuse. Ce n’est point à coup sûr le hasard qui réunissait récemment à peu de distance deux faits d’une nature bien différente, et qui tous deux cependant vont droit au même but. Il y a peu de jours encore, Mgr l’archevêque de Paris instituait et faisait célébrer une fête des écoles. L’objet de celle fête, c’était de rapprocher la religion de la science, et de rendre leur alliance plus palpable par une cérémonie religieuse. La science et la foi, le prélat parisien les montrait venant de la même source, se prêtant une aide mutuelle et ayant les mêmes fins. Presque au même instant, M. Cousin ajoutait une préface à une édition nouvelle de son livre Du Vrai, du Beau et du Bien, et dans ces pages, au nom de la philosophie, il saluait le réveil de la foi dans les âmes religieuses, il rendait le plus sérieux et le plus éloquent hommage au christianisme. Pensez-vous qu’il n’y ait là qu’une coïncidence, l’inspiration accidentelle de deux hommes se rencontrant dans le même langage ? N’y a-t-il point au contraire l’indice de ces tendances qui naissent dans les sociétés éprouvées ? N’est-ce point l’expression de ce besoin qu’ont les intelligences de s’éclairer à la double lumière de la foi et de la science ? Il faut laisser les esprits exclusifs et violens faire leur triste guerre à ces transactions, aller droit où les pousse leur instinct chimérique, prétendre détruire la philosophie par la religion, ou la religion par la philosophie. Les uns et les autres vont assurément contre leur but, et ne font qu’ajouter au désordre moral et intellectuel, en creusant de leur mieux un abîme entre deux puissances faites pour agir ensemble sur les hommes. Ce qui est dans le besoin commun aujourd’hui, c’est cette sorte de concordat entre la religion et la science, et ce n’est pas trop de ces deux forces réunies pour rendre une direction aux intelligences, pour les remettre sur la trace des vérités obscurcies, pour relever les caractères, pour travailler en un mot, comme le dit M. Cousin, à la grandeur morale de l’humanité. Là est le point par lequel de telles manifestations touchent à l’état moral de la société ; elles révèlent un mal devenu profond, et elles indiquent le seul remède possible, qui consiste à fortifier les cœurs, à assainir les idées, à réchauffer les convictions, à développer les cœurs de cette vertu morale qui sait se soumettre sans servilité et rester libre sans révolte.

Cette action fortifiante n’appartient pas seulement à la religion et à la science, elle appartient aux lettres aussi, — et où pourrait-elle mieux trouver sa place que dans la chaire du professeur, dans cette communication avec un auditoire accessible à toutes les impressions justes et salutaires ? Ici encore se retrouvent les cours récemment ouverts à la Sorbonne par M. Saint-Marc Girardin et M. Nisard. Le rare mérite de M. Saint-Marc Girardin, c’est de se tracer une carrière et de la parcourir avec une familière aisance, avec une sûreté de maître, en multipliant les points de vue, les appréciations et les diversions ingénieuses. Ce n’est point qu’il ne se pose à lui-même les plus sérieuses questions. De quoi s’agissait-il l’autre jour par exemple ? Il s’agissait de savoir quel est le rôle des lettres, ce qu’elles sont par rapport au développement des sociétés politiques, ce que les gouvernemens peuvent pour elles par leur protection. En réalité, comme le dit M. Saint-Marc Girardin,