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à Ardahan, et les plus récentes nouvelles laissaient les Turcs sur le territoire russe, maîtres du fort d’Akiska et coupant la route de Tiflis. Ce qu’il y a de plus grave dans la guerre portée sur ce point, c’est qu’elle touche à un des côtés les plus vulnérables de la Russie, en allant ajouter aux difficultés de la lutte permanente que les années du tsar soutiennent dans les contrées du Caucase. Mais si les Turcs sont heureux dans leurs combats de terre, la fortune ne semble pas également leur sourire sur la mer. Il n’est plus douteux aujourd’hui qu’ils viennent d’essuyer une défaite de nature à porter un coup singulier à leur force navale. La rade de Sinope, sur les côtes de l’Asie Mineure, a été le théâtre d’un combat des plus graves, où, en une heure, une division de la flotte russe a détruit treize bâtimens turcs : le commandant même de cette portion de la flotte ottomane, Osman-Pacha, a été fait prisonnier. De cette division navale turque rien n’est resté ; la dernière frégate, que les Russes ramenaient à Sébastopol, a dû être abandonnée à la mer. Comme on voit, un rude revers vient balancer les succès partiels qui ont couronné les premiers efforts des armes ottomanes. C’est donc dans ces conditions que l’intervention nouvelle de l’Europe agissant en commun trouve la lutte engagée entre la Russie et la Turquie, et l’échec que viennent d’éprouver les Turcs ne sert qu’à mieux motiver cette intervention, à lui donner un caractère de nécessité plus invincible.

Mais si l’intérêt le plus évident de l’Europe consiste à faire tomber les armes des mains des belligérans pour sa propre préservation, si l’intervention actuelle des quatre grandes puissances de nouveau réunies se fonde justement sur cet intérêt auquel se rattache la sécurité du continent, quels seront les moyens proposés ? Quelle est la pensée véritable de cette intervention collective ? Quelle sera la mesure de son action dans les circonstances diverses qui peuvent naître de cette phase nouvelle ? Ce sont autant de questions qui s’offrent naturellement à l’esprit, et que très certainement la diplomatie a dû résoudre avant de se saisir de nouveau de cette grande affaire. Quant aux moyens préliminaires proposés pour en venir à un arrangement définitif, à travers toutes les versions qui ont pu circuler, ce qui semble le plus probable, c’est que les gouvernemens se sont mis d’accord pour offrir à la Russie et à la Turquie d’entrer dans un congrès où seront débattues toutes les difficultés se rattachant aux dernières complications, et où seront réglées les relations générales de l’empire ottoman avec l’Europe. Or la première condition pour que cette œuvre puisse s’accomplir librement et fructueusement, c’est la signature d’un armistice qui suspende les effets de la guerre et empêche les prétentions de varier suivant les chances d’un combat heureux. C’est là un motif puissant évidemment ; mais il y en a un autre encore, ce nous semble : c’est que la France et l’Angleterre ne pourraient laisser longtemps se prolonger une situation où leurs escadres mouillées devant Constantinople verraient se renouveler le spectacle des luttes navales dans la Mer-Noire et des désastres de la flotte turque, tandis que leur diplomatie, à Vienne ou ailleurs, s’efforcerait de défendre la suprématie du sultan sur son empire. Il y aurait là visiblement une contradiction trop singulière. Il pourrait en résulter qu’au bout de toutes les négociations on n’en serait pas moins réduit à un suprême conflit, seulement dans des conditions infiniment