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mouvement qui s’opère aujourd’hui en Toscane dans l’art et dans la critique a le mérite de l’à-propos, à coup sûr on ne lui reconnaîtra pas le caractère d’une révolution spontanée.

Au surplus est-ce bien d’une révolution qu’il s’agit, et ce mouvement, si faible encore, doit-il aboutir à une régénération complète de l’école ? Il faut souhaiter qu’à Florence artistes et écrivains secouent résolument le triste joug qu’ils acceptaient naguère ; mais jusqu’à présent on peut craindre qu’il n’y ait au fond de leurs tentatives une arrière-pensée d’éclectisme favorable en même temps aux fausses doctrines de l’art moderne et aux principes de l’art ancien. Or on ne peut servir à la fois les dieux de MM. Benvenuti et Sabatelli et le dieu de fra Angelico ; on ne saurait promener son admiration des maîtres du XVe siècle à M. Bezzuoli sans perdre, chemin faisant, tout sentiment du juste. Le tort des nouveaux réformateurs est leur timidité. Ils commencent à renaître à la vraie foi, mais ils n’osent pas encore lancer l’anathème, et pourtant si jamais erreurs durent être hautement condamnées, ce sont celles qui ont régi l’art toscan depuis le commencement du siècle et relégué presque au dernier rang l’école qui remplissait autrefois le monde de sa gloire.

À Munich, à Paris et plus récemment à Londres, les peintres qui ont pris pour modèles les maîtres italiens primitifs, et particulièrement fra Angelico, se sont, nous l’avons dit, abandonnés sans réserve à leur zèle de réaction, et tout d’abord l’imitation absolue de la vieille manière florentine a été érigée par eux en système : système dangereux, puisqu’il tend à remplacer l’inspiration personnelle par des inspirations de seconde main, la naïveté sincère par l’affectation de la naïveté et le sentiment par l’archéologie, mais qui du moins a cela de bon, qu’on ne peut se méprendre sur le sens et la portée de l’entreprise. À Florence, la réaction en est encore à l’état de symptôme et ne s’est manifestée que dans quelques ouvrages où l’on reconnaîtrait plus de bonne volonté que de détermination, des aspirations plutôt que des principes. Ceux des peintres qui seraient le plus tentés de rompre avec la tradition moderne semblent s’effrayer de leur révolte et ne viser à rien de plus qu’à une sorte de compromis entre le style académique et le style des œuvres du XVe siècle.

On peut voir un spécimen de cette manière ambiguë dans les tableaux peints par M. Louis Mussini, directeur actuel de l’académie de Sienne. Le talent de M. Mussini est sérieux, bien intentionné, sans nul doute, et beaucoup plus digne d’estime que la chétive habileté des professori florentins ; mais, tout en procédant des exemples des anciens maîtres, ce talent n’accuse pas très franchement son origine. Si l’on prétend remettre en honneur ces exemples, si longtemps méconnus, il faudrait d’abord les suivre soi-même sans tergiversation, sans scrupule, et ne pas renier en partie les croyances qu’on veut inspirer aux autres. Nous ne demandons ni à M. Mussini, ni à ceux de ses compatriotes qui cherchent, comme lui, à restaurer le culte des vieux chefs-d’œuvre, nous ne demandons à personne de peindre des pastiches : tâche peu honorante pour les copistes et le plus souvent désavantageuse aux modèles. Nous voudrions seulement que les nouveaux convertis avouassent plus courageusement leur foi, et qu’ils ne s’en tinssent pas à des