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indifférens ou prévenus perd en partie son autorité, et court risque de n’être compris qu’à demi. Le talent de fra Angelico, tout intelligible qu’il est, a au premier abord un caractère de vétusté qui peut amener quelque méprise, et le mieux eût été d’expliquer ce talent, au lieu de le proposer presque sans commentaires en exemple.

Lorsqu’on examine attentivement les Œuvres de fra Angelico, on reconnaît dons toutes, à quelque moment qu’elles aient été produites, une extrême simplicité de procédé, une virginité de touche et d’expression qui atteste la merveilleuse délicatesse du pinceau, en un mot un goût d’exécution si sobre, que cette exécution même a quelque chose d’immatériel. Peintre spiritualiste par excellence, fra Angelico, en traçant chacune de ses figures, cherchait moins à représenter les formes palpables d’un corps qu’à faire pressentir une âme sous une enveloppe transparente pour ainsi dire, et le dessin et le coloris, au moyen desquels il a traduit sa pensée, offrent non limitation exacte, mais l’image des couleurs et du dessin réels. Aussi les sujets qu’il traite de préférence appartiennent-ils à un ordre surnaturel, à une sphère de sentimens au-dessus de l’œil humain et de la vie : le Couronnement de la Vierge par exemple. — scène céleste qu’il a peinte vingt fois peut-être en variant sans cesse l’aspect et les détails, et le Jugement dernier, où la place qu’il réserve à l’expression de la béatitude est toujours beaucoup plus grande que la place laissée à l’esquisse des châtimens. En faisant ainsi deux parts inégales, l’artiste mesurait bien ses forces, et se montrait docile aux inclinations de sa piété. Cette imagination aimante se refusait aux conceptions terribles ; ce regard, constamment tourné vers le ciel, ne pouvait s’abaisser sur les hôtes de l’enfer sans se souvenir encore des visions angéliques, et si effrayans qu’ils veuillent paraître, si monstrueuses que soient leurs formes, les démons de fra Angelico gardant je ne sais quelle physionomie placide que les damnés à leur tour ne peuvent dépouiller au milieu des flammes. Mais que l’on jette les yeux sur les autres parties du tableau : tout émeut le cœur et ravit l’intelligence, tout est grâce, poésie, amour. Michel-Ange le disait, et certes on ne soupçonnera pas chez lui la partialité d’un disciple : » Il faut que ce bon moine ait visité le paradis, et qu’il lui ait été permis d’y choisir ses modèles. » Comment en effet expliquer par l’étude de la réalité ces créations si déliées et si pures, et ne croirait-on pas que ces types éthérés ont été révélés à l’extase ? Quelle autre origine attribuer, par exemple, au Jugement dernier que possède aujourd’hui l’Académie des Beaux-Arts à Florence, œuvre incomparable, plus digne qu’aucun tableau de l’époque d’être reproduite par le burin, et que cependant les graveurs de la Galerie de l’Académie ont cru pouvoir exclure de leur publication ?

Bien que les tableaux de fra Angelico aient avant tout un caractère de beauté abstraite et une apparence presque immatérielle, les conditions positives de l’art ne laissent pas d’y être soigneusement observées. Les lignes générales peu exactes il est vrai quant aux proportions relatives des groupes, attestent dans la partie architecturale une connaissance profonde de la perspective, et ce mérite, fort ordinaire aujourd’hui, était assez rare encore au XVe siècle pour que l’on sache gré à l’artiste de l’avoir eu l’un des premiers. Le coloris, plus harmonieux en général que le coloris des peintres de l’époque, a aussi plus de vérité et de délicatesse, et si le dessin manque d’ampleur,