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grands maîtres ne l’avaient pas jugé indigne des prémices ou de la maturité de leur génie. Plus qu’aucun autre, Giovanni devait être séduit par un genre de travail qui lui laissait toute liberté pour retracer les objets aimés de ses premiers regards, les oiseaux, les insectes diaprés, les arbrisseaux et les fleurs, hôtes ou parure de la contrée natale. Aussi les pages qu’a embellies sa main offrent-elles un mélange singulier de naïveté et de puissance, un témoignage également expressif des goûts ingénus de l’enfance et des aspirations déjà sublimes de la virilité. Des scènes de la Passion, des figures de saints, traitées avec une véritable grandeur, ont pour cadre des guirlandes le long desquelles se jouent des chardonnerets, des lézards, des papillons ; des plantes délicates fleurissent au pied de la croix ou autour du sépulcre. On dirait que par l’alliance de ces moyens sans corrélation apparente, l’artiste a voulu faire un double appel à la dévotion des hommes, et qu’en regard des souffrances auxquelles un Dieu se condamna pour nous, il a jugé bon de montrer les joies pures et les richesses innocentes qu’il nous donne.

Après ces doux essais, qui reflètent à la fois les premières lueurs de son imagination et les instincts de sa piété, Giovanni osa entreprendre des travaux plus considérables, bien que d’une dimension assez restreinte encore, et il peignit pour les autels de plusieurs églises des dyptiques, des tabernacles, dont on conserve quelques fragmens à Florence et dans d’autres villes de la Toscane. Sa réputation s’étendit rapidement, et si à cette époque il avait recherché avant tout l’éclat des succès et la fortune, « il lui était facile, dit Vasari, de vivre dans une situation brillante et de gagner ce qu’il aurait voulu ; » mais, soit que la pratique de l’art tel qu’il le comprenait lui parut incompatible avec la vie dans le monde, soit que quelque mystérieuse douleur l’eût surpris au début de cette vie même, il se réfugia à vingt ans dans un cloître, et reçut en 1407 l’habit de dominicain.

Peut-être a-t-on lieu de s’étonner que Giovanni ait choisi pour entrer en religion la règle de saint Dominique, puisque les hommes soumis à cette règle devaient, dans la pensée du fondateur, se consacrer spécialement à la prédication. Il est permis de dire toutefois que lui aussi travaillait à évangéliser les peuples dans le langage qui lui était propre, et que, par la portée de ses œuvres, il justifiait son titre de prêcheur aussi bien que le plus éloquent de ses frères. Nombre d’artistes d’ailleurs avaient précédé Giovanni dans l’ordre des dominicains, et à Florence même fra Sisto et Fra Ristoro, les savans constructeurs de Santa-Maria-Novella, avaient dès le XIIIe siècle donné un exemple qu’allaient suivre dans les siècles à venir tant de peintres, d’architectes et de sculpteurs. Les Mémoires du père Marchese, en recueillant ces noms inégalement célèbres, prouvent qu’à toutes les époques et dans tous les pays les artistes de profession rencontrèrent parmi les fils de saint Dominique des maîtres, des rivaux ou des élèves. Depuis fra Bartolommeo, dont les conseils achevèrent de former Raphaël, jusqu’au français Guillaume de Marcillat, l’un des plus habiles peintres-verriers de son temps ; depuis l’architecte fra Giocondo, qui poursuivit la construction de Saint-Pierre de Rome, jusqu’au Flamand frère François, qui termina le Pont-Royal à Paris, bien des talens se développèrent dans des asiles pareils à celui que Giovanni s’était choisi.

Le nouveau dominicain et son frère aîné Benedetto, qui avait comme lui