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cafés, où la dépense monte d’autant plus vite que le vin, dont le prix est peu élevé dans ces pays, y est communément dédaigné. La musique plairait à cette population, qui possède à un degré remarquable le sentiment de l’harmonie ; mais c’est précisément chez elle que les sociétés chantantes avaient été le plus détournées de leur objet. Combien il serait désirable qu’on pût cultiver et diriger ces dispositions, qui fourniraient d’utiles moyens d’employer les heures de loisir !


III. – INSTITUTIONS. – ESPRIT POLITIQUE.

Il reste à nous demander comment, dans cette Provence, des esprits à la fois aussi vifs et aussi nonchalans ont accueilli les idées de prévoyance et d’association, si fécondes en elles-mêmes quand elles sont dégagées des périlleuses exagérations qui, dans le milieu de ce siècle, sont venues les dénaturer.

Ceux qui n’ont pas étudié les associations mutuelles de prévoyance dans toute la variété de leurs applications seraient tentés de croire qu’elles exigent entre leurs membres une complète similitude de situation jointe à un rapprochement continuel. Cette dernière condition manque dans celles des industries de la Provence qui utilisent le concours d’ouvriers du dehors, avec des intermittences plus ou moins longues dans le travail. Le personnel des fabriques d’huile et des fabriques de garance semble se prêter fort peu aux combinaisons de la mutualité. On se demande en outre si, là même où se rencontrent les conditions les plus favorables à la formation des sociétés de secours, les populations de la Provence, naturellement peu patientes, voudront se plier au régime d’institutions qui intéressent un avenir plus ou moins éloigné, plus ou moins incertain. Dans un pays aussi favorisé sous le rapport du climat, l’homme sentira-t-il suffisamment l’aiguillon de la nécessité pour s’imposer de prévoyantes économies ? N’est-il pas à craindre que l’impétuosité des instincts individuels ne rende impossible l’agrégation volontaire et durable des intérêts ? Ces questions se présentent d’elles-mêmes dans la cité marseillaise, où les ouvriers sont nombreux et en général très rapprochés les uns des autres. Au sein de cette vaste agglomération, la vie industrielle est assez développée cependant pour mettre en lumière la solidarité non pas absolue, mais partielle, des situations. C’est en outre une condition favorable que la tendance innée de la population marseillaise à se grouper et à former des cercles. Grâce à ces circonstances locales, on a pu triompher des obstacles que les inclinations générales des Provençaux semblaient devoir opposer aux idées de prévoyance collective.