Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1201

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des longues journées, quand les moyens de travail abondent dans la ville ou dans les environs, on demande l’autorisation de s’éloigner pour quelques jours, et on s’en va travailler pour le compte des particuliers, afin de gagner davantage ; le plus souvent néanmoins ces chômages volontaires n’ont d’autre cause que le désir de s’abandonner à une oisiveté complète. L’imagination des ouvriers naturellement un peu contemplative, quoique sans délicatesse, se complaît dans l’inaction du corps, qui laisse carrière aux rêveries. Est-ce là une population essentiellement pervertie ? Non ; c’est une population qui ne sait, point lutter contre son penchant naturel. Ses écarts fréquens, il les faut moins imputer à la corruption du sens moral qu’au défaut d’énergie : mais cette impuissance de trouver en soi-même un frein contre ses propres entraînemens a pour résultat de porter aux mœurs domestiques une atteinte funeste. Le lien de la famille n’est pas très solide, et, par une anomalie singulière, il n’y a guère de pays où l’on soit plus empressé de le former. Les ouvriers se marient fort jeunes, puis ils traitent avec une incroyable légèreté les devoirs de leur nouvelle condition. Désunion dans l’intérieur des ménages et quelquefois même rupture complète, telles sont les suites immédiates de cette indifférence, qui dans une ville comme Toulon, aboutit trop facilement à ouvrir un abîme devant les femmes délaissées.

Les logemens étant fort chers dans l’étroite enceinte de la ville, beaucoup d’ouvriers toulonnais vont habiter les faubourgs extérieurs ou les villages environnans. Là même ils n’ont souvent qu’une chambre, et un cabinet pour une famille de cinq ou six personnes. L’état des ménages ne choque pas à la première vue ; comme les ouvriers sont dans l’usage de consacrer toutes leurs ressources au moment du mariage à des achats d’ameublement, on remarqua plutôt dans leurs habitations un certain luxe extérieur, auquel les femmes attachent un grand prix. L’ardeur du climat impose aussi des soins particuliers ; mais ces apparences cachent un dénûment réel. On a tout sacrifié à ce qui frappe les yeux. Poussé à l’excès, le goût pour la parure prélève encore une dîme ruineuse sur les revenus des familles. Les produits du travail suffisent-ils toujours aux luxueux atours des femmes ? Question délicate dont ne semblent pas s’inquiéter la plupart de ceux qui auraient qualité pour cela. Les hommes eux-mêmes sont plus préoccupés de leur toilette, qu’en aucune autre ville de France.

Faut-il indiquer d’autres sources de dépenses superflues ? Le Toulonnais aime hors de chez lui les parties de plaisir et les repas coûteux. Tandis que quelques ménages s’en vont passer le dimanche au cabanon, nombre d’ouvriers quittent leur famille pour faire des promenades soit à la campagne, soit en mer. D’autres remplissent les