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des choses amènera un déplacement dans le centre de la civilisation et le transportera, au bout d’un plus ou moins grand nombre de siècles, sous les tropiques, entre les deux Amériques et les deux océans, vrai milieu du monde à venir.

Jetons un coup d’œil sur le vieux continent. Nous voyons d’abord dans l’Orient de grands empires, isolés par leur situation non moins que par le génie des peuples qui les habitent. L’Égypte était emprisonnée dans la vallée du Nil, entre deux déserts comme entre deux murailles infranchissables ; la mer eût pu être une porte, mais les Égyptiens avaient horreur de la mer. L’Inde est séparée de l’Occident, au sud par le désert, au nord par les montagnes de l’Afghanistan ; à peine entrevue des anciens, elle fut pour ainsi dire découverte par Gama, et n’a jamais pu être pour l’ancien monde un centre, car elle était un pôle. Plus lointaine, plus perdue aux extrémités de l’Orient, bien que dans son ignorance géographique elle s’appelle l’empire du milieu, la Chine pouvait moins encore jouer ce rôle. Le seul empire central qui se soit formé en Orient est celui qui fut tour à tour assyrien, babylonien et persan ; mais il ne sortit point de l’Asie : quand il en voulut sortir, il rencontra à Marathon une poignée de Grecs qui le repoussèrent, et, quelques siècles après, un jeune homme parti de la Macédoine vint le briser. La Grèce fut le centre d’un monde restreint dont les limites ne s’éloignaient guère des côtes de la Méditerranée, semées de ses colonies. Les Romains se firent à leur tour le centre de ce petit monde méditerranéen qui s’étendait autour d’eux, puis de proche en proche atteignirent par leurs armes et gouvernèrent par leurs lois presque tout ce qui était connu de la terre. Le Capitole, bien que placé à une extrémité du monde civilisé, en fut par la conquête le centre politique et souverain ; puis l’invasion barbare défit ce qu’avait fait l’invasion romaine, et pendant longtemps il n’y eut plus rien qui ressemblât à un centre politique dans le monde. Il y eut un centre religieux qui, héritant de l’universalité romaine et transformant une domination guerrière en une domination morale, gouverna l’Europe des bords du Tibre. Une seconde fois on vit l’autorité s’étendre sur les peuples du midi au nord, des côtes de la Méditerranée aux bornes septentrionales de l’Europe. La religion, moins que toute autre puissance, a besoin, pour être un centre d’action, d’être un centre géographique ; mais id même l’importance d’une position centrale se fit sentir : le monde grec, le monde slave et l’Orient résistèrent à la Rome chrétienne, et, au XVIe siècle, le nord de l’Europe lui échappa presque tout entier.

L’empire que Charlemagne tenta de relever, et qui passa bientôt