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tambourin dans un rayon assez étendu, par des commissaires spéciaux. La moindre municipalité se met alors en grandes dépenses : on installe des jeux nombreux et variés ; on distribue aux vainqueurs de ces tournois des prix qui laissent souvent percer la bizarrerie du goût local. L’entrain et la gaieté ne manquent jamais dans ces assemblées. La joie se répand au dehors par de vives et bruyantes explosions ; mais, signe remarquable, il ne semble en résulter entre les individus aucun lien vraiment sympathique. Tandis qu’en Flandre, dans de semblables réunions, le plaisir individuel parait s’accroître du plaisir commun, — on dirait, chez les Provençaux, que chacun songe seulement à soi et se divertit isolement.

Les fêtes patronales sont le rendez-vous des sociétés chantantes, très populaires en Provence, presque toujours composées d’ouvriers, et qui prennent habituellement le nom de chœurs, en y ajoutant une qualification distinctive. Ainsi les ouvriers d’Aix composent les chœurs des Sans-Souci, des Philistins, des Renaissans. Lorsqu’un concours s’ouvre dans les romérages entre des compagnies venant d’ordinaire de différentes communes, c’est l’autorité municipale transformée en jury qui prononce entre les combattans. Les sociétés chantantes ont, pour leurs réunions habituelles, des espèces de cercles appelés chambrées. Durant nos temps de division, on a vu quelquefois les chambrées, envahies par les passions politiques, dégénérer en clubs que l’autorité locale a dû interdire ; mais la plupart sont demeurées fidèles à leur caractère primitif. Chaque chambrée a ses statuts et son chef d’orchestre. On s’étonnera sans doute que dans ce pays, où il existe un patois fort usité parmi lésinasses, les chœurs ne fassent presque jamais entendre des chants en langue vulgaire. Lors du passage du chef de l’état à Aix, en 1852, il fut impossible, malgré des efforts réitérés, d’organiser des chants patois. Les poèmes de tout genre ne sont pourtant pas rares dans cet idiome provençal, divisé en nombreux dialectes, et qui, à Marseille, se ressent encore de l’origine phocéenne de la cité, et rappelle un peu le langage de ce peuple dont le poète a dit :

Graïs dedit ore rotundo
Musa loqui.

Les chansons mêmes sont très nombreuses dans le patois provençal. La plupart célèbrent le plaisir ou l’amour, mais le plaisir et l’amour représentés sous des images très sensuelles et toujours assez vulgaires. La poésie locale manque d’un goût délicat et fin. Dédaignées par les chœurs, ces rapsodies ne s’entendent que dans des réunions plus familières, ayant moins de prétentions à l’art. Dans les sociétés musicales ; on chante des fragmens de nos opéras et de nos