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Peu après, il est employé dans les établissemens levantins existant à Saint-Chamond, et il tente d’y cultiver la garance, qui devait valoir à son nom une immortelle renommée. Toutefois ce n’est pas dans les montagnes du Forez que la plante pouvait prospérer. Althen avait été frappé, dans ses voyages, de la ressemblance du sol et du climat d’Avignon avec le climat et le sol de l’Anatolie ; c’est là qu’il songe à reprendre sur une plus grande échelle les tentatives faites à Saint-CHamond, et qui n’avaient produit que des résultats incomplets. Il parlait avec tant d’enthousiasme de ses projets, qu’il parvint, malgré son dénûment, à inspirer assez de confiance pour obtenir des terres à ensemencer. Les résultats de la nouvelle culture, commencée en 1756, furent constatés à Avignon en 1763 par des expériences publiques. Quoiqu’il ne prêtât pas une suffisante attention aux travaux d’Althen, le conseil de la cité lui accorda pourtant cinq louis d’indemnité et un privilège d’exploitation pour dix années. La garance franchit bientôt les limites de la concession. Althen eut la joie de voir sa conquête assurée, mais ce fut sa seule récompense. Il mourut en 1774 sous un toit d’emprunt, sans rien laisser que l’indigence à deux filles qui lui survécurent, et dont l’aînée sollicita vainement un peu plus tard la reconnaissance des habitans du pays venaissin, alors que le comtat n’appartenait pas encore à la France[1].

Avant de profiter aux fabriques, l’heureuse importation d’Althen devait procurer un élément considérable de travail aux ouvriers des campagnes de Vaucluse. La culture de la garance réclame en effet des soins longs et continus : il faut attendre la récolte dix-huit mois au moins : mais quand la plante est arrachée, la vente en est facile, et le prix se paie toujours comptant La préparation industrielle, au moins celle de la garance proprement dite, est extrêmement simple : il suffit de réduire en poudre les racines desséchées, qui reçoivent le nom d’alizaris au moment où les fabriques s’en emparent. La trituration s’opère au moyen d’énormes rouleaux mis en mouvement, grâce à de nombreux canaux de dérivation, par les eaux boueuses de la Durance ou les eaux limpides et bleues de la Sorgue. La tâche des ouvriers est très pénible, soit à cause de la chaleur des salles où ils sont renfermés et de la poussière ténue qui les remplit, soit à cause

  1. J’ai sous les yeux une copie du testament de la seconde fille d’Althen, reçu par un notaire à l’hôpital d’Avignon dans la salle des pauvres filles, où la testatrice se trouvait au lit malade, le 26 février 1789. Elle dispose d’une rente de 60 livres et de ses hardes et nippes ; c’était tout son avoir. Elle déclare ne pas savoir signer. Disons que le Persan Althen avait eu deux témoins, et qu’imbu des mœurs orientales, il ne s’était pas fait scrupule, quoique chrétien, d’épouser la seconde du vivant de la première. Sa seconde femme, qui lui survécut, mourut folle dans la maison des fous de l’Œuvre de la Miséricorde d’Avignon.