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l’influence d’un débouché inépuisable sur la production, que ces champs si mornes, si déshérités, donnent en moyenne une rente de 100 fr., et que dans les environs immédiats de Liverpool et de Manchester la terre cultivée se loue jusqu’à 250. Il n’y a pas beaucoup de sols, parmi les plus favorisés du soleil, qui puissent se vanter de rapporter autant. C’est là surtout qu’on est tenté de s’écrier avec le poète latin devant ces prodiges : « Salut, terre de Saturne, mère féconde des moissons et des hommes ! »

Salve, magna parens frugum, saturnia tellus,
Magna virùm !…

C’était autrefois un pays de grande propriété et de grande culture : la grande propriété est restée, mais la culture s’est divisée avec le progrès de la population. Même encore, au milieu de cette foule compacte, il y a place pour de nombreux parcs de grands seigneurs ; tels sont Knowsley-Park, près de Liverpool, appartenant à lord Derby, Croxteth-Park, à lord Sefton, Childwall-Abbey, au marquis de Salisbury, etc. Ces parcs enlèvent à la culture, proprement dite de grandes étendues et commencent à soulever des murmures parmi les adeptes de l’école de Manchester. Une société s’est formée, sous les auspices du célèbre Cobden, pour acheter de grandes propriétés et les dépecer en petits lots ; cette société compte déjà plusieurs milliers d’adhérens et plusieurs millions de souscriptions. En général, ce district populeux est le siège de l’esprit démocratique et bourgeois, je dirais presque de l’esprit révolutionnaire, si une telle expression était compatible avec la mesure que les Anglais gardent toujours dans leurs plus violentes agitations. On y parle sans beaucoup de cérémonie d’une transformation nécessaire dans la propriété comme dans l’influence politique, et si un pareil langage était tenu sur le continent, il annoncerait sans aucun doute des bouleversemens prochains. Heureusement les Anglais savent prendre patience et marcher pas à pas. En attendant, la grande propriété reste maîtresse du terrain, et cette activité industrieuse a jusqu’ici merveilleusement tourné à son profit.

Les propriétaires du Lancashire ont plus mauvaise grâce que d’autres à se plaindre de l’effet que peut avoir sur le taux des rentes la baisse des prix. Le mouvement d’opinion qui a fait triompher le free trade est venu, il est vrai, de Manchester et de Liverpool ; mais avant de provoquer une réduction possible dans le revenu des propriétés, le voisinage de ces ateliers infatigables avait commencé par l’augmenter considérablement. Même en supposant une réduction de 10 ou de 20 pour cent, les propriétaires du Lancashire auraient encore beaucoup plus gagné que perdu. Lord Derby, l’ex-premier ministre,