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mes fatigues. Crois-moi, renonce à tes instincts féroces, et viens avec moi jusqu’à la ville prochaine. » Le lion dressa la tête, ouvrit sa gueule souillée de sang, secoua sa crinière, fit résonner ses flancs sous le fouet terrible de sa queue, et, se traînant aux pieds de Zosimas comme un chien devant son maître, il lui montra qu’il était prêt à lui obéir. Le saint plaça ses bagages sur son dos, lui fit signe de le suivre, et arriva ainsi jusqu’aux portes de Césarée.

Les animaux n’attendaient pas toujours les remontrances des solitaires pour se montrer à leur égard complaisans et dociles. Vaincus comme les païens et les barbares par leur charité surhumaine, attendris par leur inaltérable douceur, ils se font les compagnons dévoués de leur solitude : ils les protègent, les nourrissent, les consolent dans leurs maladies, et leur rendent après leur mort les devoirs de la sépulture. Les corbeaux, qui nourrissaient le prophète Elie, apportent chaque jour à saint Paul pendant soixante ans le pain qui le fait vivre. Quand ce pieux ermite fut entré, suivant l’expression des hagiographes, dans la voie de la chair universelle, saint Antoine, son meilleur ami après Dieu, s’agenouilla près de son cadavre et versa des larmes plus amères que l’absinthe, parce qu’il n’avait point de bêche pour lui creuser une fosse. Deux lions qui passaient dans le désert virent cette grande douleur, et, s’approchant de lui aussi doucement que des colombes, ils se mirent à creuser la terre avec leurs ongles. Lorsque Antoine eut déposé le corps de son compagnon dans la fosse qu’ils venaient d’ouvrir, les lions rejetèrent doucement le sable sur le cadavre, et, leur besogne terminée, ils s’inclinèrent devant le saint pour lui demander sa bénédiction. Quand les chrétiens sont livrés en pâture aux bêtes du cirque, les lions se couchent à leurs pieds et les caressent, comme pour faire honte aux hommes de leur férocité. Clément d’Ancyre, Néophyte, Emilien, Sature, Perpétue, Félicité, voient expirer devant eux la cruauté des animaux les plus redoutables. « Ainsi, dit saint Bûcher, les monstres des déserts et des forêts, qui devaient être les exécuteurs elles instrumens du supplice des chrétiens, devenaient par un prodige admirable les témoins de l’innocence des condamnés, et en portant respect à la piété de ces justes, ils prononçaient dans leur silence un arrêt contre l’impiété des méchans. »

Les vies des saints de l’église latine sont remplies de faits analogues ; mais en général, dans l’Occident, l’intelligence des bêtes est beaucoup plus ouverte et leur intimité avec l’homme beaucoup plus grande. La plupart des personnages éminens en vertu ont chacun des animaux familiers qui les accompagnent comme des amis inséparables ou les servent comme des domestiques fidèles. Les hirondelles, qui cherchent pour abriter leur couvée le toit hospitalier