Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dieu no lui a point donné la beauté : il serait risible sur un cheval, plus risible encore sur un chameau ; mais, tel qu’il est, ce vizir, comme la plupart des hommes de son pays, recherche l’approbation des femmes, et c’est là ce qui m’a donné son appui. Soyez attentif à ce que je vais vous raconter.

« On m’a prévenu qu’en France les femmes disposaient de la pluie, du soleil et du vent. — Si vous voulez réussir, m’a dit un Français qui m’a semblé un homme sain dans ses jugemens, il faut vous rendre favorable une de ces divinités qui dirigent toutes nos pensées et toutes nos actions : quand vous aurez une femme derrière vous, jetez-vous hardiment dans la mêlée ; jusque-là tenez-vous à l’écart, car vous lutteriez peut-être contre des gens que des femmes protégeraient, et vous seriez vaincu infailliblement. — Alors j’ai formé le projet de chercher un indispensable soutien, et le hasard m’a servi merveilleusement. Votre ami d’Escaïeul m’a conduit chez la duchesse de Glenworth, qui est ce qu’on appelle en France une lionne, c’est-à-dire une créature puissante, qu’on redoute, qu’on flatte et qu’on admire. On me prévint que justement le grand vizir désirait plaire à cette lionne.

« Mais comment allais-je lui plaire moi-même ? C’est ce que je me demandais. Le Français que j’avais interrogé déjà vint encore à mon secours. » Quel charme emploient, dit-il, ceux d’entre vous qui veulent se faire obéir du sultan ? » Je lui répondis : « La flatterie. — Eh bien ! reprit-il, vous savez de quel philtre vous devez vous servir. » Je compris tout de suite la duchesse de Glenworth. Elle a la fierté du djouad, la gravité du marabout, la vanité du taleb ; c’est pourtant une femme après tout, quoiqu’une femme assurément fort dissemblable de toutes celles que nous voyons dans notre pays. Sous les majestueuses apparences qui la recouvrent, on trouve cette substance fragile et légère, destinée à périr tout entière, dont Dieu a pétri la femme.

« Aussi, je fis d’abord agir sur elle tout simplement ce qui réussit chez toutes les femmes dans toutes les contrées. Je louai sa grâce, sa beauté, et je lui racontai ces histoires de guerre dont les êtres qui ne doivent pas quitter la tente se montrent toujours avides. Puis, quand je la connus mieux, je lui fis boire un breuvage plus compliqué. Je m’aperçus que ce qu’elle désirait surtout, c’était qu’on la regardât comme une créature dissemblable de toutes celles que Dieu a créées. Elle veut être parmi les femmes ce que le cheval Borak est parmi les chevaux ; je la servis suivant son goût. Je lui dis que je n’avais vu encore ni dans la vie, ni dans le rêve, personne qui lui ressemblât. Je la comparais tantôt à un esprit de la lumière par l’éclat qu’elle répandait autour d’elle, tantôt à un esprit des ténèbres par