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caprice, cela m’est fort indifférent, après tout ; — mais il en est un autre…

— J’arriverai tout à l’heure, répondit-elle, à celui qui excite votre intérêt ; puisque vous avez nommé Valentin, il faut que vous subissiez ce que je veux vous dire à son sujet. Il a cette qualité dont vos hommes politiques reprochent l’absence à votre nation, car vous êtes Français ; après tout, quoique vous serviez en Autriche : il a le respect. – Et comme Olivier souriait : — Oh ! fit-elle, épargnez-vous, je vous prie, quelque plaisanterie de mauvais ton et de mauvais goût, vous savez de quel respect je veux parler ; il a pour tout ce que je dis et pour tout ce que je fais une admiration sans réserve ; il s’incline devant ce que sa raison ne comprend point dans ma nature. Quand je suis sévère, il ne blasphème pas ; quand je suis clémente, il se confond en actions de grâces…

— Bref, interrompit Olivier, il vous traite comme les prophètes traitaient Jéhovah ; mais votre esprit ne l’inspire guère.

— Ah ! vous y voilà, reprit-elle. Il n’a point d’esprit, n’est-ce pas ? Vous autres Français, vous croyez avoir tout dit sur le malheureux que vous voulez perdre, quand vous avez lancé contre lui cette terrible accusation. Eh bien ! vous n’êtes pas assez intelligens, messieurs les hommes spirituels, pour comprendre que cette qualité dont vous faites tant de cas est précisément ce qui vous nuit le plus auprès de ces belles étrangères dont vous faites tant de cas aussi. Votre esprit n’est qu’un mélange d’égoïsme et de moquerie ; rien de plus fatigant que de sentir sous chaque phrase qu’amène la conversation votre pensée toujours en embuscade ! pour saisir la double occasion de se produire avec éclat et déjouer quelque mauvais tour à la pensée d’autrui. Aussi, quand nous rencontrons au milieu de vous quelque âme sérieuse et simple, semblant ignorer ou mépriser les jeux brillans et perfides dont vous êtes épris, nous sentons sur-le-champ une attraction et…

— Et voilà pourquoi, dit le prince de Trènes, vous daignez faire le malheur de Valentin. Je ne veux rien objecter, chère lady, à votre goût pour la simplicité ; seulement, ce goût n’aurait-il point dû vous porter à ne torturer qu’un cœur à la fois ?

— Je vous jure, fit lady Glenworth, que je n’ai usé d’aucune coquetterie vis-à-vis de votre ami. Je ne songeais pas à lui. Il m’a aimée d’une passion dont la sincérité et la violence m’ont touchée, mais qu’assurément : je n’ai point provoquée. Maintenant que puis-je faire, après tout ? Son amour lui donne-t-il un droit sur ma personne ? faut-il que je m’ensevelisse avec lui dans la solitude ? En vérité, vous êtes étrange, et je vous mettrais presque au défi d’expliquer clairement ce que vous me demandez.