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don Juan après avoir entendu d’une chambre d’auberge les mélodies de Mozart. Les sons qui avaient frappé ses oreilles avaient mis en branle tous les grelots de son imagination. Au moment où le silence venait de s’établir autour de lui, il élevait la voix à son tour : il continuait ou reprenait, pour mieux dire, un thème abandonné ; seulement, si le motif était le même, quelle différence dans les variations !

Je pouvais donner également sur lady Glenworth ou la conversation du soir, ou le monologue de la nuit. J’ai préféré le monologue, parce qu’il me semblait plus vrai, plus élevé, plus saisissant ; la médisance y était devenue observation, la calomnie en était absente, la tristesse s’y montrait parfois, et cette verve de la solitude, que ne remplace aucune excitation mondaine, y jetait souvent d’étranges clartés. Qu’on le lise du reste, et qu’on le juge. Je ne change rien au désordre nocturne dans lequel cette très réelle songerie s’est échappée d’une cervelle enfiévrée.


I

J’ai retrouvé lady Glenworth avant-hier presque aussi belle qu’il y a sept ans. Dieu sait pourtant quel âge elle peut avoir ; mais je ne veux pas m’attrister par des calculs qui me prouveraient à moi-même que je suis l’aîné de Chérubin à coup sûr, de Werther encore sans aucun doute, et peut-être bien de Lovelace. C’est toujours la même Thécla. J’ai reconnu ces cheveux d’un blond vénitien aux teintes chaudes, aux tresses abondantes et lourdes qui font songer du soleil et de l’onde ; j’ai revu ces yeux noirs où brille continuellement un regard que l’on a comparé tantôt à la lampe de Faust, tantôt à une étoile amoureuse, ces jeux remplis d’un mystère si inquiétant et si irritant. Oui, le temps l’a vraiment épargnée, et c’est peut-être pour cela qu’il y a quelques heures elles l’ont, traitée si durement. Le fait est que malheureusement tout était fondé dans ce qu’elles disaient avec tant de moquerie emportée. L’âme muette qui les écoutait le savait. Oh ! cette dernière histoire surtout ! Du reste, comme on l’a mal racontée !… Tout le monde riait… tout le monde n’a point ri quand elle s’est passée. La comédie est fausse comme la tragédie. Tout ce qui vit appartient moitié à la tristesse, moitié à la gaieté, comme cette terre appartient moitié à la nuit, moitié au jour.

Je ne me représente pas trop ce que Thécla pouvait être quand elle épousa le duc de Glenworth. Il y a des femmes qu’on ne se représente jamais jeunes filles. Elle m’a dit souvent qu’avant son mariage elle avait lu Goethe, Byron, Jean-Jacques, et composé une élégie sur Françoise de Rimini. Elle n’avait jamais connu sa mère, et son père, le vieux comte Mac-Breane, était un respectable fou. Il l’avait gâtée