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attribuer une autre intention, il a plus d’une fois perdu de vue le but qu’il s’était proposé. Chemin faisant, pour émouvoir le lecteur, il lui a présenté les tableaux les plus hideux, et le dégoût excité par ces tableaux est si profond, que le lecteur se demande à quoi sert cet amoncèlement de boue. C’est un étrange emploi du talent. Parlerai-je de la composition ? Il n’y a pas trace de composition dans les Mémoires d’un Mari. Quoique l’auteur ait adopté la forme autobiographique, il s’en faut de beaucoup que le récit ait la simplicité d’un journal. Il y a des entretiens sans fin qui ne tiennent pas au récit, puis des digressions, des tirades ampoulées, qui ne blessent pas seulement le goût, mais fatiguent l’attention. Tout marche au hasard ; il n’y a pas un chapitre qui ne puisse être déplacé à l’insu du lecteur, sans danger comme sans profit. Il est trop évident que l’auteur, en écrivant la première page, ne prévoyait pas comment il remplirait la seconde. Il s’est fié à son imagination, et sa présomption lui a porté malheur ; j’aime à croire que, s’il eût réfléchi avant de prendre la plume, il nous eût épargné les scènes hideuses que l’improvisation ne saurait excuser.

Il me reste à parler d’un livre dont la foule a sans doute exagéré la valeur, mais qui cependant se recommande par un mérite assez rare de nos jours, je veux dire la simplicité. Il y a dans la Dame aux Camélias plusieurs scènes d’un intérêt très vif et très bien racontées. La sobriété du langage ajoute encore à l’émotion produite par le récit. Si c’est un roman, et l’opinion accréditée ne veut pas que ce soit un roman, il faut rendre justice à la vraisemblance de la fable, au rapide enchaînement de tous les épisodes. Réel ou inventé, peu importe, ce livre mérite une mention à part, parce qu’il émeut, et peint avec une déplorable fidélité toute une face de la société contemporaine. Il se trouve parmi nous des hommes qui s’attachent de préférence aux femmes perdues, comme il se trouve des femmes, d’ailleurs bien nées, bien élevées, entourées d’exemples excellens, qui se proposent pour tâche unique la régénération d’un homme dépravé. Sous ce double acharnement, il ne faut chercher qu’un vice unique : l’orgueil. M. Dumas fils, sans se préoccuper de cette question, s’est borné à raconter ce qu’il a dû voir ou savoir : il y a dans son récit un accent de sincérité qui n’appartient qu’au témoin oculaire ou à l’écrivain qui a recueilli d’irrécusables témoignages. Il serait facile de relever ça et là plusieurs pages où les sentimens exprimés manquent d’élévation et de délicatesse, où l’affection filiale et l’affection fraternelle sont profanées comme à plaisir par d’imprudentes comparaisons. Cependant, malgré ces taches qui frapperont tous les yeux exercés, la Dame aux Camélias ne peut être confondue avec les romans qui se publient chaque jour. Si les amours de Duval