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de son mariage, il est pour sa femme un objet de haine. Il s’applaudit de son succès, et ne parait pas craindre que la haine devienne du mépris. De la part d’un homme si fier de sa pénétration, c’est une imprudence qui a lieu de nous surprendre. Cette première épreuve acceptée, la suite du récit n’est pas difficile à prévoir. Pour que l’égoïsme se montre à nous dans toute sa monstruosité, il faut que la victime choisie par Fernand accepte sans révolte et sans murmure les tortures qui lui sont imposées, il faut qu’elle succombe sous le poids du malheur, et c’est en effet ce qui arrive : elle meurt en bénissant la mort qui la délivre.

Pour exposer dans toute sa crudité l’argument présenté par M. Sue sous la forme d’une narration, j’ai passé sous silence tous les épisodes de cette étrange confession ; cependant ces épisodes méritent d’être mentionnés, car ils ajoutent encore au dégoût que Fernand nous inspire. Je n’insisterai pas sur l’inutilité parfaite de la première partie, car la vie de collège n’a rien à démêler avec la vie de ménage. Je n’appellerai l’attention que sur les scènes qui précèdent le mariage de Fernand. Pour clore dignement sa vie de jeune homme, après avoir usé, abusé de toute chose, notre héros trahit son meilleur ami. Et ne croyez pas qu’il cède à l’entraînement de la passion. Quand Fernand trompe Raymon, il est depuis longtemps mort à la passion : son cœur n’est plus que cendre. La trahison n’est pour lui qu’une saveur nouvelle ajoutée au plaisir des sens. Je ne prends pas la peine de rappeler toutes les aventures, toutes les bonnes fortunes de Fernand avant son mariage, parce que les unes sont grossières, et les autres banales ; mais le dernier épisode de cette vie livrée à tous les vents doit obtenir une mention à part. Qui le croirait ? M. Sue, craignant sans doute que son héros ne fût pas encore assez odieux, a cherché dans une combinaison toute nouvelle un moyen sûr de le river à notre mépris. Fernand, qui avant son mariage a pris la femme de Raymon et l’a vue mourir de honte et de désespoir, Fernand, une fois certain de l’aversion qu’il avait rêvée comme le fondement le plus sûr de la paix domestique, cherche dans la possession de la mère de Raymon une distraction nouvelle. N’est-ce pas là une merveilleuse invention ? Devant ce dernier trait, il n’y a qu’à s’incliner. Quel goût délicat ! quel ressort ingénieux ! Si jamais homme a mérité le nom de fange, c’est à coup sûr Fernand. En vérité, j’ai peine à comprendre qu’un écrivain qui plus d’une fois a donné des preuves de talent se laisse entraîner à des aberrations si monstrueuses. S’il y a quelque part des hommes qui rêvent ou qui réalisent un tel avilissement, ce n’est pas au roman de nous les montrer : ils ne sont à leur place que sur les bancs de la cour d’assises.

Si M. Sue a voulu flétrir l’égoïsme, et je ne crois pas pouvoir lui