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nous séduit, et puis, quoi qu’il fasse, il retrouve toujours son talent de paysagiste. Il y a dans les Maîtres Sonneurs plus d’une page émouvante sur l’aspect des bois et des champs. En lisant ces descriptions si vraies, si variées, on respire à pleins poumons, la poitrine se dilate, et le lecteur oublie toutes les déclamations, toutes les théories musicales de Brulette, pour ne songer qu’à la nature qui est devant lui. Le paysage n’est pas d’ailleurs le seul intérêt que présument les Maîtres Sonneurs. Muriel et sa sœur Thérèse sont dessinés avec franchise. Quant au Grand-Bûcheux, pour qui l’auteur ne cache pas sa prédilection, j’avoue qu’il est demeuré pour moi lettre close. C’est un maître sonneur de la première force, je le veux bien, qui a deviné le mineur et le majeur sans perdre son temps à étudier ; mais son talent sur la musette ne suffit pas à expliquer la vénération qu’il inspire à sa famille et à ses élèves, car le Grand-Bûcheux n’est pas avare de leçons.

Qu’est-ce donc en somme que ce livre singulier ? Un enfantillage, rien de plus. La route qui doit ramener l’art à sa primitive simplicité resté encore à trouver. Les Maîtres Sonneurs n’ont pas rapproché le but. J’aime à espérer que l’auteur renoncera prochainement aux locutions rustiques, et comprendra qu’il faut chercher ailleurs la régénération, le rajeunissement de l’art. C’est mon vœu bien sincère.


Quel but s’est proposé M. Sue en écrivant Fernand Duplessis ? Qu’a-t-il voulu prouver ? et j’emploie à dessein cette dernière expression, car chacun sait depuis longtemps que l’auteur attribue volontiers à ses récits la valeur d’une démonstration. A-t-il résolu de mettre en pleine évidence l’égoïsme, qui assure le malheur d’un trop grand nombre d’unions ? Si telle a été sa pensée, je reconnais que son livre l’exprime assez fidèlement, peut-être même la franchise de Fernand va-t-elle jusqu’à la brutalité. Il y a certainement dans cette confession d’un mari plus d’une page qui semble marquée au coin de la vérité ; mais la vérité même, pour garder sa valeur poétique, ne doit pas se montrer à nous telle que nos yeux l’aperçoivent dans la vie de chaque jour. Or M. Sue ne parait pas avoir mesuré l’intervalle qui sépare la poésie de la vie réelle : à côté d’une page qui révèle un observateur très attentif, il place sans hésiter une page qui soulève le cœur et provoque le dégoût. Je veux bien croire que plus d’un homme se marie avec la ferme résolution de ne voir dans sa compagne qu’un intendant ou une garde-malade ; mais pour l’accomplissement même de cette résolution, il importe de ne pas exciter l’aversion dès le premier jour, que fait pourtant Fernand Duplessis ? Il ne néglige rien pour décourager le cœur de la femme qu’il a choisie et sa méthode est si sûre, qu’il réussit pleinement. Le lendemain