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Dans un autre chœur, cette magistrature morale prend un ton d’enseignement qui rappelle les formes simples et antiques de la sagesse orientale :


« Je dis cette parole, qui est vraie : L’orgueil est réellement fils de l’impiété ; mais la santé de l’âme enfante le bonheur tant aimé, tant souhaité de tous. Et je dis, pour tout comprendre en un mot : Révérez l’autel de la justice, de le foulez pas d’un pied athée pour un lucre ; car la peine suivrait, la fin répondrait au crime. Que chacun honore ses parens et reçoive avec un respect hospitalier la visite de l’étranger ! Ainsi, juste sans y être forcé, il ne sera pas sans bonheur ; il ne succombera jamais entièrement. Mais je dis : L’audacieux transgresseur qui confond toute justice déchira bientôt sous la force, quand l’adversité déchirera sa voile et brisera ses vergues, il appelle, et n’est pas entendu dans le tourbillon qui l’entraîne. Dieu rit de l’homme violent, lorsqu’il le voit, lui qui ne s’y était jamais attendu, vaincu par la tempête insurmontable, et ne surnageant plus ; il a brisé à jamais son bonheur d’autrefois contre recueil de la justice, et il périt ni regretté ni connu. »


Tous ces chants, rapides, serrés, parfois obscurs, mais toujours pleins d’élévation, roulent sur trois idées, toutes trois caractéristiques dans le sens que nous avons indiqué : la première, une juridiction terrestre et surnaturelle à la fois, qui poursuit dans ce monde et lie pour la vie future ; la seconde, une inquisition morale, une haute censure, ancienne, non interrompue, devant laquelle les grandeurs humaines se fondent comme la cire, la troisième, une puissance vieillie, en quelque sorte ; reniée et repoussée par les dieux nationaux ou déjà nationalisés, une puissance qui se plaint en menaçant et qui sent son déclin, quoique redoutable encore. L’esprit du tribunal théocratique dont l’Amenthi était la transfiguration religieuse, dernier reste d’une organisation sacerdotale déchue, nous parait respirer entièrement dans ces hymnes. Le nom seul de ce tribunal terrifiait ; peut-être ce nom était-il le nom égyptien même de l’Amenthi, hellénisé par une légère déflexion, selon l’usage des peuples qui allèrent volontiers les mots réprouvés ou redoutés, et selon l’usage particulier des Grecs, qui ramenaient les dénominations étrangères à des racines de leur langue ; les Amenthides seront ainsi devenues les Euménides, appellation adoucie et suppliante.

Quoi qu’il en soit, le vrai sujet de la pièce d’Eschyle, c’est la suppression du tribunal des Amenthides ou Euménides comme tribunal actif ; son pouvoir est renfermé pour l’avenir dans le temple et devient une simple puissance morale agissant sur les consciences, et sa juridiction extérieure passe à l’Aréopage. L’Aréopage (colline d’ Arès ou de la Lance) remonte très haut dans l’antiquité, et les souvenirs qui s’y rattachent dans ces temps obscurs se lient toujours à l’idée d’une de ces enceintes consacrées au jugement chez les peuples guerriers. C’est comme le Mallberg ou la colline du parlement, mais du parlement