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et Anubis, qui manient la balance ; Thoth, écrivant le résultat : Oms ou Cerbère, qui semble aboyer l’accusation ; Osiris, qui juge, et le cynocéphale qui exécute. En outre les Euménides, dont on osait à peine prononcer le nom, n’étaient point encore représentées sous les formes affreuses qui ont prévalu depuis ; au moins leurs statues n’avaient rien d’effrayant, selon Pausanias. Ce fut Eschyle qui inventa ces masques affreux, ces chevelures de serpens, qui causèrent tant d’effroi à la première présentation ; pourquoi, si ce n’est pour rappeler les formes symboliques des divinités de l’Amenthi, portant sur des corps humains des têtes de crocodiles, de chacals, de chiens, de serpens, d’hippopotames, d’éperviers, formes qui, n’ayant plus pour les Grecs les significations qu’y avait attachées l’écriture hiéroglyphique, ne leur laissaient que l’idée de la laideur infernale ? Des monumens et des médailles confirment encore cette identité. De même qu’Osiris, dans les vignettes du rituel, porte le fouet et le sceptre à crochet, ayant devant lui la peau de panthère, le thyrse, la fleur du lotus, le chien Oms, et la clé ou croix ansée dans la main de Tmeï, — ces divers attributs se retrouvent épars sur les représentations grecques ou étrusques des Euménides. On les y voit accompagnées de chiens qui aboient ou coiffées de lotus ou d’un boisseau qui semble la mitre d’Osiris, ou vêtues d’une peau de panthère, ou armées de fouets, de crochets, ou une clé à la main. Leur culte aussi rappelait parfaitement le jugement de l’Amenthi avec ses terreurs et sa moralité ; les sacrifices aux Euménides se faisaient la nuit, souvent dans des lieux souterrains ; les prêtres se revêtaient de robes noires ; les chants étaient des lamentations plaintives, sans instrumens, comme des supplications d’accusé. Dans tout le reste, un silence profond était imposé. Les gâteaux sacrés ne pouvaient être pétris que par des jeunes gens de bonne famille et sans reproche ; les esclaves et tout ce qui était avili en était écarté : des hommes et des femmes d’une vie exemplaire pouvaient seuls figurer devant les augustes déesses, et cependant on dit, d’un autre côté, que les Eupatrides ne prenaient aucune part à ces cérémonies. Était-ce encore une protestation de la vieille noblesse titanique ?

Une considération plus concluante encore, ce sont les fonctions de ces divinités vengeresses, si admirablement décrites dans l’hymne diabolique qu’Eschyle leur fait chanter sur le malheureux Oreste. Cette juridiction sacerdotale qui suivait le crime sur la terre et jusqu’au sein de la mort, ces nobles idées de justice éternelle revêtues de tant d’épouvantes, y sont exposées dans une incantation infernale avec un refrain qui rappelle celui des sorcières de Macbeth, avec un rhythme torrentueux qui roule comme un amas de pierres dans le lit du Styx, et que nous n’essaierons point d’imiter ; il suffit d’y voir ce qui explique la magistrature que s’attribuent les Euménides :