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vain le héraut des Égyptiens avait commencé, comme Hermès dans Prométhée, par de fiers discours et des insolences : il ne tarde pas à être renvoyé beaucoup plus humble et chargé de paroles fort piquantes pour les Égyptiens, grands scribes et buveurs de bière, qu’Eschyle, ce semble, aimait à railler. — « Vous ne les enlèverez pas de force, dit le roi ; voilà ce qu’un suffrage unanime du peuple a résolu. Ceci est cloué d’un clou qui a percé de part en part, et il ne sera pas arraché ; ceci n’est pas écrit sur des tablettes, ni scellé dans des replis de papyrus, mais tu l’entends clairement d’une bouche libre. Et maintenant ôte-toi de mes yeux au plus vite. — Eh bien ! sachez, répond l’Égyptien, que c’est une nouvelle guerre que vous choisissez ; la victoire et la puissance seront aux hommes. — Eh bien ! répond le roi, vous trouverez dans les habitans de cette terre des hommes aussi qui ne boivent pas du vin d’orge. » Et aussitôt il fait partir les Danaïdes « pour la ville bien ceinte et fermée d’un vaste travail de tours. » Ainsi la race d’Io est délivrée ; elle rentre dans la famille pélasgique, dont elle était sortie, et la flotte égyptienne s’en retourne à travers les tempêtes invoquées contre elle. Le récit biblique analogue à celui-ci est la délivrance des Hébreux après le passage de la Mer-Rouge.

La troisième pièce, les Danaïdes, complétait la trilogie par la destruction des enfans d’Égyptus, à l’exception de Lyncée, qui, ayant respecté la virginité d’Hypermnestre, fut conservé par elle, l’épousa et fut établi dans le pays. Le vrai sujet de cette pièce finale de la trilogie était, comme on voit, une transaction. La Danaïde, accusée de n’avoir pas tué le dernier des Égyptiens, fut absoute par les juges d’Argos. Qui ne voit ici encore cette fusion intellectuelle qui arrivait toujours quand la liberté était sauve ? cette tribu des Danaïdes, longtemps acclimatée en Égypte, instruite, comme les Hébreux, dans la sagesse des Égyptiens, fut un des principaux agens de cette conciliation. La race sémitique, toujours iconoclaste, de peur d’altérer l’unité divine, avait repoussé absolument les formes hiéroglyphiques de la religion du Nil ; elle n’en prit qu’en partie l’organisation sacerdotale. La race grecque au contraire, plus pénétrable et plus sensible à l’image extérieure, reçut volontiers et propagea les cérémonies mystiques ; mais libre, elle exprima librement le culte par les arts, et fit sortir ainsi, par une autre voie, l’unité de l’Être divin de La multitude même de ses figurations. Toute cette trilogie égyptienne a donc un sens absolument identique au sens que nous avons développé dans celle de Prométhée ; seulement le mythe, moins ancien, y a déjà revêtu des formes plus humaines. Guerre de races, oppression, résistance, communication d’idées, fusion des cultes, tout s’y trouve dans le même ordre et sous la même inspiration, malgré la diversité des sujets.

Après la trilogie égyptienne, voyons la trilogie thébaine. L’arène