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théocratique de Cholula. Ce fut par le secours de ces ennemis des Aztèques et des chefs, qui portaient avec impatience le joug de leur domination, que Cortez vainquit Montezuma. Outre ses six cents Espagnols, il avait au moins cent cinquante mille alliés; des historiens mexicains disent deux cent et même trois cent mille. Cortez n’en fut pas moins étonnant par l’audace avec laquelle, sans savoir les difficultés et les secours qui l’attendaient, il s’élança, suivi d’une poignée d’hommes aussi déterminés que lui, à la conquête d’un vaste empire, et plus encore peut-être par la persévérance intrépide et l’habileté infatigable qu’il montra jusqu’à la fin. Aussi la légende s’est emparée de cette expédition dont la réalité est si grande. On dit que, contemplant Mexico du haut d’un teocalli, il pleura sur cette magnifique ville qu’il allait détruire. Cortez n’a jamais, je crois, répandu ces philosophiques larmes. On a aussi rajeuni pour lui la vieille histoire, déjà racontée plusieurs fois dans l’antiquité, d’Agathocle, de Julien et de quelques autres, qui a laissé un proverbe dans notre langue : brûler ses vaisseaux. Malgré l’autorité du proverbe, Cortez n’a point brûlé ses vaisseaux par une inspiration héroïque, pour s’enlever tout moyen de retour. Rappelé par le gouverneur de Cuba, dont il était le lieutenant, ayant désobéi à son chef et conservé le commandement malgré lui, perdu s’il revenait, ses vaisseaux, qui ne lui servaient à rien, ne pouvaient que lui nuire en offrant aux mutins un moyen d’aller révéler au gouverneur de Cuba les desseins de son subordonné rebelle : il les sacrifia donc sans regret et sans mérite. Du reste, il ne les brûla point; il faut renoncer à le voir, une torche à la main, les embrasant théâtralement sur le rivage. Cortez montra dans tout ceci plus de ruse que d’héroïsme : il fit échouer ses vaisseaux secrètement et comme par accident, puis ordonna qu’ils fussent dépecés, gardant avec soin le fer, les cordages et tout ce qui pouvait servir. Ce qu’il accomplit de vraiment étonnant, ce fut d’entrer une première fois à Mexico sans coup férir, par la terreur qu’inspirait son audace, en se servant habilement des haines que les Aztèques avaient soulevées et de la prophétie qui annonçait la venue d’un homme blanc; ce fut d’enchaîner dans son propre palais un monarque adoré de son peuple comme une idole, d’aller sur la côte au-devant des Espagnols envoyés pour lui ravir le commandement, de les gagner et de revenir à leur tête, puis de rentrer dans Mexico encore indépendant — comme dans une ville conquise. Quand le peuple se souleva enfin, les revers montrèrent Cortez plus grand que ses succès, aidés par la supériorité des armes et le nombre de ses alliés.