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le moyen de détourner ce revers. Je sais la chose, je sais la manière. Et maintenant qu’il se repose, tranquille et confiant en ses vains tonnerres ; qu’il secoue ses traits de feu : nul ne l’empêchera de tomber d’une chute honteuse et pitoyable, et il apprendra de son désastre combien il est différent de régner ou de servir. »

Jusqu’ici, pour faire ressortir cette indomptable volonté, qui, affaissée par momens sous la douleur, se redresse toujours, le poète a fait dire aux Océanides tout ce qui peut inviter à la résignation et à l’obéissance. Les Océanides ont représenté avec beaucoup de mesure et même de délicatesse l’humanité vulgaire, soumise avant tout à l’instinct commun de la conservation présente, cherchant le repos de la vie et se gardant bien d’acheter à ses dépens le bien public, surtout le bien d’un vague et lointain avenir. Quoique à la fin, généreuses malgré leur prudence terrestre, elles refusent d’abandonner Prométhée et s’exposent avec lui aux foudres de Jupiter, néanmoins pendant tout le cours du drame elles ont cherché à lui inspirer leur faiblesse, il y a même un chant de soumission aux choses établies, un hymne à l’indifférence pour les idées et pour les hommes, et ce chant naïf fait singulièrement ressortir le contraste entre la prudence vulgaire et ces ambitions plus hautes qui ne songent pas uniquement à prolonger leur vie au banquet des joies présentes.


« Oh ! que jamais, disent-elles, oh ! que jamais le maître suprême ne permette que ma pensée soit en opposition avec sa puissance ; que jamais je n’oublie d’offrir aux dieux le banquet sacré des sacrifices, que jamais je ne les offense par mes paroles ! Que cette volonté soit stable en moi et ne se dissipe jamais ! il est doux d’étendre longuement sa vie sur de confiantes espérances et d’alimenter son cœur de joies lumineuses. Mais toi, oh ! je frissonne en te voyant rongé de tant de misères ! Trop hardi devant Jupiter, tu révères trop l’humanité, ô Prométhée ! Vois combien d’ingratitude pour le bienfait, ô ami ! Dis-moi, où est la force, où est l’assistance de ces hommes d’un jour. Ne vois-tu pas cette race aveugle trébucher sans cesse, légère et inconsistante comme un songe ? Jamais les volontés humaines ne dépasseront les volontés de Jupiter. Voilà ce que j’ai compris en voyant ton funeste sort, ô Prométhée. Oh ! combien diffère ce chant, qui s’envole en ce moment de ma bouche, de celui que je chantais sur ton hyménée aux jours de tes ardeurs, lorsque par tes présens tu gagnas ma sœur Hésione, et l’emmenas épouse pour partager ta couche ! »


Quelle grâce, n’est-il pas vrai, de faiblesse, de timidité, de regrets, dans ces gémissemens ! L’humble instinct qui rase la terre ne se montre ici que pour mieux faire mesurer la hauteur du dévouement, et les escarpemens de la volonté humaine.

Mais ni à ces sollicitations, ni à toutes celles qui les ont suivies, la victime ne s’est ébranlée : elle redouble au contraire ses menaces et ses prédictions mystérieuses, et Jupiter s’en inquiète à la fin. Il