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Le tonnerre et les vents mugissaient à la fois.
Le ciel y ruisselait, immense cataracte.
Quelle vie à cette heure en fût sortie intacte ?
De lui-même oublieux pourtant, le médecin
Ne songeait qu’au dépôt serré contre son sein,
Au jeune ange battu par la fortune adverse.
Pour mieux le garantir du vent et de l’averse,
Il s’était de sa cape en chemin dépouillé,
Si bien que le petit fut à peine mouillé.
Mais lui, quand du voyage il atteignit le terme,
Quand, brisé, les habits collés à l’épidéme,
Il eut rendu l’enfant à son berceau natal,
Il se sentit dès lors atteint du coup fatal.
À quarante ans, un mal enflammait sa poitrine,
Plus fort que sa vigueur, plus fort que sa doctrine.
— Seigneur, dit-il. Seigneur ! du pays que j’aimais,
De tous mes chers cliens prenez soin désormais !…

Tel était l’homme saint et digne d’auréoles
Que pleurait l’autre soir la cloche de Vitrolles.
Tandis qu’elle pleurait : — Ah ! me dis-je tout bas,
Au convoi de demain je ne manquerai pas ;
Il faut que la contrée y coure tout entière.
Et de pieux honneurs couronne cette bière.
Grande âme que l’amour brûlait divinement,
Austère sacrifice, éternel dévoûment,
Secourable sciences aux humbles répandue,
Une palme, à la fin, vous est certes bien due.
Dans ce malheureux siècle, où j’ai vu de mes yeux
Tant de plats histrions, de vils ambitieux
Gorgés d’encens stupide et de gloire bouffonne,
Seuls, hélas ! nos martyrs seraient-ils sans couronne ?

Voilà que, dans la nuit, un orage nouveau
Éclate, et que le ciel se fond encore en eau.
Triste et rude saison ! Des bassins de la nue,
L’averse, au jour suivant, ruisselait continue ;
Les chemins n’offraient plus que torrens débordés ;
L’obstacle était partout dans les champs inondés.
L’homme qui, de sa vie écartant la louange,
Poursuivit quarante ans la mission de l’ange,
Dans le funèbre enclos, au retour de la nuit,
Fut humblement porté, sans cortège, sans bruit.
À peine deux voisins, un laboureur, un pâtre,
Virent-ils sur le corps le sol trempé s’abattre.


AUTRAN.

Novembre 1853.




LE CHEVALIER CESAR DE SALUCES.

Au milieu de cette lutte d’ambitions et de vanités dans laquelle se dépensent de nos jours tant de facultés précieuses, et d’où sortent tant de réputations usurpées, les existences qui se dévouent silencieusement au bien pour