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Fut sur-le-champ guéri par sa pratique sûre ;
Comment il maria Catherine Dufour
Au jardinier Marcel, qui se mourait d’amour ; —
Et cent autres beaux traits encore, cent histoires
Qui jaillissent à flots de toutes les mémoires.

Un jour enfin, — c’était en septembre dernier,
Par un temps déjà froid, — la femme d’un meunier
Entra chez lui. — Monsieur, vous me voyez, dit-elle,
L’esprit tout occupé d’une crainte mortelle.
On m’apprend que mon fils, mon beau petit Gilbert,
Chez Marthe, sa nourrice, a depuis peu, souffert.
J’irais, je volerais, hélas ! vers ma chère âme ;
Mais c’est à Mont-Furon qu’habite cette femme,
Et vous savez, monsieur, que, lui-même alité,
Mon mari tout un jour ne peut être quitté.

— Eh bien ! ce cher enfant, j’irai le voir moi-même.
Aujourd’hui justement, il fait un temps que j’aime,
Répondit le docteur, et je pars ce matin.

Il partit en effet pour le hameau lointain.
À travers la montagne inculte, âpre, sauvage,
Il fallait accomplir un pénible voyage ;
Il le fit. À son but parvenu vers le soir,
Ce que virent ses yeux était bien triste à voir.
Cloaque où dès le seuil le dégoût se hérisse
Est le vrai nom du lieu qu’habitait la nourrice.
Maigre, pâle, chétif, nu comme un vermisseau,
Sur un tas d’herbe humide, à défaut de berceau,
Ce nourrisson criait d’une voix gémissante.
La femme tout le jour était restée absente.
Dans sa masure sombre elle rentrait enfin,
Image aux traits hideux du vice et de la faim.

Aillaud n’hésite point. À la nourrice amére
Il enlève l’enfant pour le rendre à sa mère,
Lui donne pour asile un pli de son manteau.
Et, montant à cheval, il repart aussitôt.

De la nuit cependant les ombres survenues
Tombaient, et l’horizon roulait d’épaisses nues.
Le saint docteur, veillant au fardeau précieux,
N’avait pas fait le quart du chemin, quand des cieux
La rafale à grand bruit soudain précipitée
Fondit sur la montagne ardue, inhabitée.
Assailli par l’orage, où se mettre à couvert ?
Où chercher un abri ? Le farouche désert
N’en présentait aucun. Partout la roche aride,
Partout la nuit opaque et le gouffre et le vide.
Aux lueurs de l’éclair qui d’instant en instant
Incendiait les cieux, le cheval hésitant
Interrompait sa marche au bord des ravins sombres.
Les loups des alentours hurlaient au sein des ombres.
Dans ce noir Luberon chargé d’antiques bois,