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liberté des transactions pour triompher et devenir la règle pratique de la vie commerciale d’un pays. Il y a bientôt un siècle que Turgot écrivait. Tout ce qu’il disait dans ses minutieuses instructions adressées à ses agens de la généralité de Limoges, tout ce qu’il montrait de bienfaits attachés à la liberté des transactions, l’expérience l’a confirmé.

Ce principe règne aujourd’hui partout où est la civilisation, et le dernier ennemi qu’il ait rencontré, qu’il puisse rencontrer encore, c’est le socialisme, sous quelque masque qu’il se déguise. Le mot même de liberté commerciale, dépouillant son sens primitif et restreint, prend une signification plus générale, et s’applique désormais aux relations d’état à état en même temps qu’aux transactions entre les diverses parties d’un même pays. Seulement il y a ici à concilier la logique d’un principe absolu avec la nécessité d’assurer parfois à certains intérêts, à certaines industries nationales, une protection suffisante. C’est là, comme on sait, une grande question pour le commerce français ; en d’autres termes, c’est la lutte depuis longtemps ouverte entre le protectionisme et le libéralisme commercial. Le gouvernement vient de faire un pas dans la voie des dégrèvemens de tarifs par le décret du 22 novembre, qui réduit les droits sur l’importation des houilles, des fontes et des fers étrangers, et qui fait disparaître, du moins en partie, l’inégalité choquante résultant du système des zones. Il suffit de quelques chiffres pour saisir l’importance du dernier décret. Les houilles, qui payaient jusqu’à 55 centimes les 100 kilos, paieront 33 centimes au taux le plus élevé. La fonte brute passe d’un droit de 7 francs à un droit de 5 francs, qui descendra à 4 francs en 1855. Les fers, qui payaient de 16 à 15 francs à l’importation, ne paieront en 1855 qu’un droit allant de 11 à 15 francs. Le gouvernement a agi modérément et partiellement, et c’est sans doute le moyen le plus sûr de donner un caractère pratique et efficace à la réforme des lois qui régissent le commerce. Qu’on réfléchisse cependant que les droits sur les fers, dans ce qu’ils avaient du moins de plus excessif, ont été d’abord établis provisoirement en 1814. Il en est de cet impôt comme de bien d’autres, du décime de guerre, par exemple, qui subsiste encore après plus de trente ans de paix. Quoi qu’il en soit, le décret récent, comme nous le disions, est un pas dans la voie des réformes commerciales.

Il y aurait à coup sûr en tout temps une gravité réelle dans des mesures de ce genre, qui modifient les conditions d’industries considérables et viennent en aide à la consommation universelle. Aujourd’hui c’est là que la politique se concentre, à vrai dire. Il est des momens, en effet, où la politique n’est plus politique, si l’on nous passe ce mot : elle est commerciale, industrielle, administrative. Plus le gouvernement absorbe de prérogatives, plus il est tenu de pourvoir par son autorité propre à tous les intérêts positifs du pays ; plus il assume de pouvoir et de responsabilité, plus il lui est indispensable d’imprimer à l’administration une impulsion active et vigilante. Le correctif de l’omnipotence administrative, c’est l’intelligence des administrateurs. Par un penchant naturel, le gouvernement actuel est revenu à une institution qui existait déjà sous l’empire, ou du moins il tend à faire d’un des principaux corps de l’état l’usage qu’en fit autrefois l’empereur Napoléon. D’après un décret de ces derniers jours, les auditeurs au conseil d’état