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qu’à marcher sur Bucharest. Voici cependant que les événemens changent tout à coup. Au moment où un choc plus décisif devenait imminent, on a appris que les Turcs, après avoir détruit leurs retranchemens à Oltenitza, avaient repassé le Danube et se retrouvaient sur la rive droite du fleuve. Quel était le secret de ce mouvement de retraite que le passage du Danube ne faisait point pressentir ? C’est ce que rien n’explique avec précision. Ce qui est certain, c’est que les Turcs se sont retirés volontairement et en bon ordre, sans avoir essuyé de défaite, sans être ni inquiétés ni pressés par les Russes. Peut-être Omer-Pacha n’a-t-il point voulu engager une bataille décisive avec des forces inférieures à celles qu’amenait le prince Gorstchakoff ; peut-être a-t-il préféré reprendre ses positions antérieures, ne pouvant poursuivre des opérations plus sérieuses dans une saison trop défavorable, Dans tous les cas, le Danube se trouve être de nouveau la barrière entre les forces des deux empires. Des positions qu’elle avait prises sur la rive gauche, l’armée ottomane n’a gardé que celle de Kalafat, dans la petite Valachie, occupée encore par les troupes turques. Maintenant est-ce là que se concentrera pour le moment la lutte ? ou bien les Turcs abandonneront-ils ce point comme les autres, si des foires russes considérables s’approchent pour le leur disputer ? L’armée russe elle-même ira-t-elle attaquer les Turcs à Kalafat ? On ne saurait évidemment rien pressentir à ce sujet, et les opérations de la guerre en Europe semblent plutôt sur le point d’être suspendues que d’être reprises avec plus de vigueur. L’ouverture des hostilités en Asie a été le signal de quelques succès pour l’armée ottomane. Les troupes turques, après s’être emparées du fort de Chefketil, s’y sont maintenues avec énergie. Elles ont eu à repousser cinq attaques des Dusses, et cinq fois elles sont restées maîtresses du terrain. Un bâtiment russe qui portait des troupes de débarquement et qui avait été atteint par l’artillerie ottomane a livré en sombrant un certain nombre de prisonniers. Par une circonstance singulière, ce bâtiment, — le Foudroyant, — était celui qui conduisait, il y a huit mois, le prince Menchikof à Constantinople, et qui restait toujours là à sa disposition, porteur des messages de guerre. C’est donc, comme on le voit, avec des chances inégales que s’ouvre la guerre dans son ensemble. Elle est plutôt heureuse que défavorable pour les Turcs ; mais elle est encore, sans résultat bien marqué. Seulement les premiers succès obtenus sur le Danube et en Asie ont eu pour effet d’entretenir et d’allumer encore plus l’élan national. Les bulletins de la victoire d’Oltenitza sont venus ajouter à la confiance des Turcs. Le gouvernement ottoman lui-même semble aujourd’hui suivre cette impulsion. Le sultan, par un hat impérial, a annoncé qu’il irait au printemps s’établir à Andrinople pour se rapprocher du théâtre de la guerre. En même temps, un des principaux hommes d’état de la Turquie, Fuad-Effendi, était envoyé comme commissaire extraordinaire au camp d’Omer-Pacha, sans doute, pour y représenter la pensée politique du divan. Or, si l’on se souvient que Fuad-Effendi est justement l’homme dont l’arrivée du prince Menchikof à Constantinople détermina la retraite du ministère des affaires étrangères, on ne saurait voir évidemment dans sa mission actuelle le témoignage d’un esprit de concession et de faiblesse. En un mot, le gouvernement turc, poussé à l’extrémité terrible de la guerre, soutient avec fermeté le poids de cette situation et marche résolument à une lutte qu’il n’a point cherchée.