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sympathie avec une race pour laquelle il demande un historien qui sente dans ses veines le sang indien mêlé au sang espagnol. M. Ramirez, qui reproche avec une rancune toute mexicaine à M. Prescott d’être trop indulgent pour les cruautés des Espagnols et trop sévère pour leurs ennemis, n’a pas entièrement disculpé les Aztèques du crime d’anthropophagie. Tout ce qu’il a pu faire, ça été d’établir que dans l’ancien Mexique, on ne mangeait les hommes que par un motif pieux et dans les grandes circonstances. En effet, Montezuma, selon l’historien Herrera, mangeait peu souvent de la chair humaine, et il fallait qu’elle fût bien apprêtée.

C’est un fait très curieux que cette civilisation des Aztèques à la fois perfectionnée et barbare, brillante et féroce; on s’étonne de rencontrer la culture de la poésie et des arts chez un peuple anthropophage : les mêmes hommes se plaisaient à voir égorger des victimes humaines et à nuancer des plumes de mille couleurs, pour en former ces broderies gracieuses dont le secret s’est conservé parmi les religieuses du Mexique.

Faut-il supposer, comme on l’a fait, selon moi, sans beaucoup de vraisemblance, que le Mexique avait été visité antérieurement à la conquête espagnole par quelques missionnaires européens égarés sur l’Océan, ou par quelques bouddhistes de l’Inde? Faut-il expliquer le contraste que je signalais tout à l’heure par les enseignemens d’une religion plus douce tombés sur un fonds de coutumes barbares? Je ne puis croire que là où le christianisme et même le bouddhisme auraient passé, aient subsisté les sacrifices humains et l’anthropophagie. Non, c’est tout simplement que l’homme peut concilier un certain développement social avec des usages cruels. Sans parler des Nouveaux-Zélandais, remarquables par leur intelligence et célèbres par leur anthropophagie, la Grèce héroïque sacrifiait Iphigénie. Homère, qui a exprimé dans l’entrevue d’Achille et de Priam ce que l’âme humaine contient de plus pathétique, montre ce même Achille égorgeant douze captifs sur le tombeau de Patrocle. Les Romains, après avoir pleuré sur Didon, allaient applaudir aux horreurs de l’amphithéâtre. Les dames de la galante cour de François Ier assistaient au brûlement des hérétiques. La jeune Andalouse joue coquettement avec son éventail et prête l’oreille à des propos d’amour, tandis que ses regards boivent le sang versé dans l’arène. Enfin, au XVIIIe siècle, l’aimable président de Brosses, dans ses charmantes Lettres sur l’Italie, si pleines de finesse et d’enjouement, écrit gaiement à une dame de Dijon, qu’il plaisante sur ses cruautés : « J’ai fait mettre à la torture bien des gens qui n’étaient pas si coupables que vous. » Et il l’avait fait comme il le disait.

Les Aztèques avaient une littérature et même, dit-on, des