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totale n’est pas moindre de cent quarante métrés carrés, le programme accordait, le croira-t-on ? dix mois, pas davantage. Le travail était commandé dans les derniers jours de janvier ; il fallait qu’il fût fini avant le 2 décembre, jour arrêté pour l’inauguration.

Eh bien ! il s’est trouvé un artiste, un véritable artiste, qui n’a pas craint de tenter ce tour de force. Non-seulement il a eu le temps de composer et de peindre cinquante-six sujets en dix mois, mais jamais, à voir son œuvre, on ne se douterait que les heures lui aient été comptées, de n’est pas de l’improvisation, encore moins de la peinture de théâtre ; il n’y a là ni pochade, ni mélodrame : c’est du dessin arrêté et réfléchi, de la peinture d’un tissu ferme et serré. Le temps sans doute ne fait rien à l’affaire, et la difficulté vaincue n’ajoute rien à l’art ; mais il est certains efforts dont il faut tenir compte au talent. M. Lehmann a joué gros jeu ; il doit s’en applaudir. Ce n’est pas que son œuvre, dans toutes ses parties, triomphe également des obstacles qu’il a bravés. À côté de compositions dont les heureuses lignes semblent écloses d’elles-mêmes et dont l’étude aurait peut-être altéré la fleur, il en est que la réflexion seule aurait suffisamment mûries. De là, dans ce vaste ensemble, quelque inégalité. Comment d’ailleurs tomber toujours juste, toujours avec le même bonheur dans ces encadremens irréguliers, étroits à la base, et ramenant bon gré mal gré la pensée pittoresque toujours aux mêmes combinaisons ? Ces difficultés matérielles sont en peinture ce qu’est la rime en poésie. Il y a des vers, et des plus beaux, que nous ne devons qu’à la rime, ce qui n’empêche pas que nos poètes, et les plus grands, lui doivent bien quelques chevilles.

À cette uniformité de structure que M. Lehmann devait subir, il a eu soin d’opposer la variété des sujets. Il s’est donné pour thème l’histoire de l’humanité, depuis les premiers combats de l’homme contre la nature jusqu’aux dernières conquêtes de l’industrie, de la science et de l’art. Cette épopée, dont l’homme est le héros, prête à la grande peinture. On peut la trouver sévère pour une salle de bal ; mais l’auteur a bien fait, selon nous, de rester sérieux même à côté des violons. L’allégorie mythologique, la cour de Terpsichore, l’eût entraîné, à moins d’un miracle, à la décoration subalterne, à la fadeur, à la monotonie : l’allégorie philosophique, la poésie de l’humanité, lui ouvrait une longue série de contrastes et d’oppositions. De tant de sujets si divers, les mieux réussis sont les plus simples, ceux qui offrent les personnifications les plus faciles et les plus claires. Le lieu commun pour les arts du dessin est un aliment éternel. Ils ont de tels secrets pour l’animer et le rajeunir ! Ainsi l’homme combattant les animaux féroces, l’homme domptant les animaux domestiques, l’homme forgeant le fer, la femme filant le lin, — la moisson, la