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votre art, ou du moins savoir le déguiser. Si vous ne vous résignez pas à oubliée votre palette, vos modèles, votre atelier ; s’il vous est impossible de faire une figure sans la faire respirer, sans colorer ses lèvres et ses joues, sans mettre en saillie ses contours, sans assouplir ses draperies, alors changez votre programme, ne nous montrez pas ce Christ gigantesque et à ses pieds ce petit saint Vincent en soutane et en surplis, ce saint qui marche et s’agenouille, ce Dieu qui écoute avec bonté. Plus vous les rendez vivans l’un et l’autre, moins nous pouvons admettre que l’un n’ait que cinq pieds lorsque l’autre en a vingt. Cette disproportion ne serait tolérable que si nous apercevions clairement qu’elle n’est qu’un symbole. Pour cela, vous n’avez pas besoin de descendre aux barbaries byzantines ; il ne faut que vous défendre de vos penchans à l’illusion. Le moyen terme, assurément, n’est pas sans difficulté : c’est un chemin qui côtoie, toujours à certaine distance, la naïveté primitive, chemin non frayé, plein d’écueils, où les plus souples et les plus habiles ne marchent pas d’emblée, où le secours d’un guide et un long exercice sont nécessaires à tous, et à ceux-là surtout, qui, pendant quarante ans, n’ont compris et pratiqué que la peinture imitative.

Aussi nous souhaitons, si l’occasion, connue il faut l’espérer, s’offre encore à M. Picot de manier en grand cette peinture à la cire, dont avec tant de savoir et d’adresse il vient de faire un si heureux essai, nous souhaitons qu’on lui donne un monument où, libre et sans contrainte, il se laisse aller à la pente de ses études et de son talent. Qu’il s’établisse, pour n’en plus sortir, dans le domaine de la réalité, dans ce monde où les fictions elles-mêmes se piquent d’être naturelles, où les hommes et la Divinité sont à peu près de même taille ; qu’il porte dans son œuvre nouvelle cette pensée ferme et ce faire vigoureux qui règnent dans presque toute la partie supérieure de son abside, et pour peu que le monument par son style ne le contrarie pas trop, nous lui garantissons un grand et légitime succès.

Quant à M. Flandrin, tant qu’il s’attachera de préférence aux sujets religieux et à la décoration des églises, nous avons peu de chose à lui souhaiter. Il est dans cette voie que nous indiquions tout à l’heure ; il y marche avec aisance ; c’est son chemin de nature et de prédilection. S’il inclinait jusqu’ici du côté du symbole, sans accorder à l’art tout ce qui lui appartient, dans cette frise il a fait un visible effort pour se tenir plus près de l’imitation. Nous l’en félicitons et l’inviterions même à risquer un pas de plus. Le danger n’est pas avec lui, comme avec M. Picot, que jamais il verse de ce côté. Ce n’est pas lui qui s’oubliera à donner trop de relief à ses figures ; il se souviendra toujours que c’est une muraille qu’il décore, et nous applaudissons, sous ce rapport, à sa mesure et à sa sobriété ; mais les physionomies, les yeux surtout de ses personnages, pourquoi les sacrifier