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sujet, M. Flandrin se l’est approprié ; il l’a complété et agrandi par cette prédication de l’Évangile devenue l’origine et le point de départ de la céleste procession. À Ravenne, la marche des martyrs et des saintes filles s’explique comme elle peut ; on n’y regardait pas de si près. Du côté des martyrs, du côté droit, la frise commence par une représentation de la ville de Ravenne, avec ses tours, ses dômes, ses palais, tels qu’ils étaient au VIe siècle, et vis-à-vis, du côté gauche, on voit la ville et le château de Classe, l’ancien port, le Pirée de Ravenne. Ces deux tableaux, quoique des plus grossiers, sont d’un grand prix archéologique, mais ils expliquent assurément le reste du sujet d’une façon beaucoup moins claire que les deux apôtres de M. Flandrin. La supériorité de composition est floue, sans contredit du côté de l’imitateur, et, ce qui ne vaut pas moins, tout en usant des ressources que l’art moderne mettait à sa disposition, il a su n’en point faire abus. Là est le grand problème. Il est facile aujourd’hui de composer plus savamment, plus habilement qu’un Byzantin ; ce qui est malaisé, c’est de savoir à la fois rajeunir la donnée traditionnelle et rester naïf, accentuer la composition et conserver l’aspect monumental, faire de la peinture, en un mot, sans trop faire œuvre de peintre, sans donner à ses figures ce degré de vie, de mouvement, de relief, cette puissance d’illusion, qui conviennent à un tableau et non à une décoration appliquée sur la face même d’un édifice.

Nous fûmes frappé, dès cette première visite, de l’heureuse façon dont ce problème est résolu dans l’œuvre de M. Flandrin. Chez lui, ce n’est pas une nouveauté : les leçons de son maître et sa propre nature l’ont guidé dans cette voie ; mais à Saint-Séverin, son début, et même à Saint-Germain-des-Prés, son second coup d’essai, déjà si supérieur au premier, on peut dire qu’il poussait la vertu jusgues à la rudesse. La naïveté tombait dans la raideur. Ici le progrès est notable. Ses contours sont plus souples, ses mouvemens plus libres, sans que sa peinture ait rien perdu de son austère solidité.

Mais plus nous nous félicitions de cette intelligente soumission de l’artiste aux conditions de son programme et de cette heureuse application de la peinture qui rappelle, en les adoucissant, quelques-unes des grandes qualités de la mosaïque, plus nous commencions à redouter que dans l’abside, qui nous était voilée, un autre système n’eût prévalu. Nous avions toute confiance dans le savoir et l’expérience de M. Picot ? mais avait-il jamais rien tenté qui ressemblât aux peintures de cette nef ? Pouvait-il subitement avoir tout oublié et tout appris ? pouvait-il s’être assujetti sans réserve, sans restriction, à ces données conventionnelles qu’un fond d’or impose à la peinture ? M. Picot, le peintre élégant et correct de l’Amour et Psyché, peignant sur un fond d’or et franchissant d’un seul bond l’espace ou