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Dès que Marthe s’était sentie nécessaire, il n’avait plus été question de départ. Occupée du malade nuit et jour, elle était devenue, comme on le disait dans le vieux langage, « sa servante de tendresse. » Barmou avait d’abord repoussé les soins de sa filleule, mais la douceur de la jeune fille avait fini par triompher de sa rancune ; il s’était insensiblement accoutumé à cette pitié attentive qui lui apportait toujours un soulagement ou une consolation. Marthe avait peu à peu ressaisi son ancienne influence. Le vieux paysan reconnut malgré lui la toute-puissance de ces natures droites et simples qui marchent résolument dans le devoir, portant au front, comme une couronne, le charme de leur dévouement. Il se rendit à la bonté secourable et caressante de Marthe comme il s’était autrefois rendu à sa grâce et à sa gaieté.

Assidue près de son chevet, elle lui avait d’abord parlé de guérison ; puis, quand les remèdes s’étaient trouvés impuissans, elle avait reporté ses espérances vers Dieu. Elle avait prié à demi-voix pour le mourant, qui, à bout de courage humain, s’était senti ébranlé dans son incrédulité. La jeune fille s’en aperçut et lui parla doucement, des suprêmes consolations. Ce n’était plus ici la rhétorique de Chérot, mais les exhortations d’une foi qu’échauffait l’amour. La langue dans laquelle Marthe parlait de Dieu au mourant n’avait pas besoin d’être apprise à part comme une langue étrangère ; tout le monde pouvait l’entendre. Ses mots, au lieu d’être des énigmes pieuses, semblaient des flots sortis du cœur pour aller chercher le cœur.

Barmou la laissa dire, gagné d’abord par la douceur de l’accent, et bientôt le sens des paroles elles-mêmes sembla couler jusqu’à son âme. Mille réminiscences oubliées se réveillèrent, mille impressions perdues parurent se renouveler, d’abord faiblement, puis avec plus d’intensité. Comme il arrive souvent à ces heures extrêmes, l’être intérieur s’exalta dans un dernier effort. On eût dit que l’homme près de se dissoudre concentrait ses facultés, rallumait en lui des lumières éteintes et repassait d’un seul regard tous les horizons entrevus. Les pieux souvenirs de l’enfance et les chaudes aspirations de la jeunesse se succédèrent confusément dans ce rêve d’agonie. Le paysan, dont les forces s’éteignaient, se mit à reparler en mots entrecoupés de sa vie d’armaillé dans les alpages, de son chien Helve, de la Henriette et des rondes dansées autour des ébaux. Il voulut que Marthe, lui chantât de nouveau, à demi-voix, les airs de la montagne : puis, redescendant de la jeunesse à l’enfance, il parla de la maison paternelle, des fêtes de la famille, du vieux pasteur de son village, de sa première communion. Marthe écoutait tout, répondait à tout